Le théâtre à vif

Portrait / Depuis plus de dix ans, Thomas Ostermeier dirige une des plus importantes institutions théâtrales de Berlin, la Schaubühne, sans s'être assagi pour autant. Portrait d’un metteur en scène. Nadja Pobel

Il dit faire «un métier de vieux». Thomas Ostermeier, 42 ans, éternel sweatshirt Adidas sur le dos, a longtemps cru qu’un metteur scène était un homme très savant d’au moins 50 ans avec une barbe et un gros ventre. Il pensait ne pas avoir le droit d’entrer dans les prestigieuses salles qu’il remplit aujourd’hui partout en Europe. Rien, en effet, ne prédestinait ce fils de militaire et de vendeuse en supermarché à être reconnu internationalement comme l’un des metteurs en scène les plus doués de sa génération. Thomas Ostermeier grandit en Bavière et entre vite en conflit avec sa famille catholique, refuse d’effectuer son service militaire et opte pour un service civil auprès de personnes handicapées à Hambourg. Anarchiste, il débarque à Berlin, s’installe dans le quartier turc de Kreuzberg, partie pauvre de l’Ouest cernée par les frontières de Berlin-Est. Il joue de la basse et de la contrebasse dans des groupes de rock, mais abandonne vite, la faute selon lui, à un manque de travail et de talent. Quand le Mur tombe, il a 21 ans et s’exile dans les pays de l’ex-bloc soviétique. À son retour à Berlin, il intègre la prestigieuse école d’art dramatique, la Ernst Busch Hochschule, en 1992. Dès sa sortie, Thomas Langhoff l’invite à travailler dans l’historique théâtre qu’il dirige alors, le Deutsches Theater. À la grande salle, Ostermeier préfère les préfabriqués de la cour, vite baptisés La Baracke. Avec les bruits de la rue en arrière-fond, il expérimente des formes de théâtre proches de la performance et travaille sur des auteurs contemporains comme David Harrower ou Mark Ravenhill.Schaubühne
Insuffler le souffle nouveau d’un théâtre politique et social, loin des conventions du genre est son principal atout quand il est appelé à 31 ans à la direction du théâtre de l’Ouest le plus côté, la Schaubühne, qui trône le long du rutilant Ku’dam, ces Champs-Élysées berlinois. Ostermeier occupe pleinement sa place au rythme effréné de quatre à cinq créations par an, laissant peu d’espace à sa collègue co-directrice, la chorégraphe Sasha Waltz qui, amère, préfère quitter le lieu après cinq années de cohabitation houleuse. L’Allemand est devenu une star de son milieu, désigné premier artiste associé au festival d’Avignon en 2004 où il propose pas moins de quatre spectacles dont la création de Woyzeck dans la cour d’honneur du Palais des Papes. Mais cette gloire ne l’aseptise pas. Il ne se laisse pas enfermer dans l’institution et continue à monter des auteurs de sa génération contemporains très peu joués encore quinze ans avant en Allemagne (Jon Fosse, Sarah Kane, Lars Norén, Marius von Mayenburg, Biljana Srbljanovic, Caryl Churchill…) et ouvre son répertoire aux anciens : Büchner, Ibsen et Shakespeare dont il vient d’adapter une troisième pièce. Othello est sa dernière création en date à l’automne dernier.À corps et à cris
Auteurs d’hier ou d’aujourd’hui ? Pour Thomas Ostermeier, la question n’est pas là. La vraie interrogation est «pourquoi joue-t-on ?». «Pour faire comprendre le monde», répond-il à l’envi. Il ne cesse de vouloir reconstruire le lien entre ce qui se joue sur scène et ce qui se passe dehors avec l’angoisse constante de ne pas être assez proche de ce qui se passe dans la vie des gens. Alors il creuse ce sillon du conflit homme-femme, confronte ses spectateurs berlinois aux enjeux du pouvoir politique, économique et médiatique. Dans des décors ultra contemporains et d’une beauté à couper le souffle, il fait notamment d’Hedda Gabler ou de Nora de Maison de poupée des pasionarias des temps modernes. Parce que le «héros masculin s’est peut-être fatigué», il redonne le pouvoir aux femmes. Et croit à la force du récit comme première action de mise en scène. Pour donner corps et vie à ses personnages, il s’entoure d’une troupe de comédiens à la fois fidèles, stakhanovistes et magistraux qui ne quittent pas le plateau durant les spectacles. Se méfiant de l’intellectualisation du théâtre, Ostermeier met de côté la méthode de Stanilavski qui promeut l’analyse psychologique des personnages. La vidéo, les rifs de rock sont les autres éléments de ses créations qui toutes, inlassablement, cherchent la bombe prête à exploser en chacun de nous dans cette apparente société policée.

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