Astier : Back to Bach

Entretien avec Alexandre Astier, à l’occasion de son nouveau spectacle, "Que ma joie demeure !", présenté à l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne le 31 décembre. Propos recueillis par Christophe Chabert

Cela fait plus de dix ans que nous avons entamé un long et fructueux dialogue journalistique puis artistique avec Alexandre Astier. Précisément à la création du Jour du Froment en 2002 au Théâtre de la Croix-Rousse de Lyon, suivi par l’odyssée triomphale de sa série Kaamelott et enfin le long parcours du combattant de son premier long-métrage, David et Madame Hansen. Aujourd’hui, il revient sur les planches avec Que ma joie demeure !, un solo où il s’est distribué le rôle de Jean-Sébastien Bach, donnant une leçon au cours d’une journée portes ouvertes tout en réparant un orgue et en pleurant la mort d’un de ses enfants. Un spectacle magistral, virtuose, sincère, drôle et émouvant, celui d’un auteur et d’un comédien à la liberté retrouvée.

Que ma joie demeure marque ton retour au théâtre, dix ans après Le Jour du froment. Est-ce que ta vision a changé du fait d’être passé par la télévision et le cinéma ?
Alexandre Astier : Oui, car quand j’ai fait Que ma joie demeure !, j’avais conscience d’avoir d’autres terrains de jeu et de pouvoir bénéficier de leur spécificité : un saut dans une époque ou dans une ethnie, des choses plus chères, avec du monde… Quand tu as sur le feu des projets propres aux autres médias, tu es beaucoup plus tranquille pour que ta pièce ne serve qu’à dire des choses qui ne sont faites que pour une scène. Pour Le Jour du froment, le fait d’avoir un huis clos réaliste dans un commissariat avec un couloir, une porte, ça faisait spectacle parisien. Maintenant que j’ai la chance d’aller ailleurs, un spectacle qui n’a pas le strict minimum et qui ne met pas en scène l’acteur dans son plus simple élément me semble plus louche. J’y vois ce dont j’avais envie avant : des envies de films, de séries ou même de BD… À une époque, j’ai tout mis dans Kaamelott parce que je n’avais le droit de faire que ça, même des choses extrêmement "théâtrales". Que ma joie demeure ! est le premier spectacle tranquillisé de ça : je sais que je pourrai revenir au cinéma ou à la télé plus tard. Je pense que mon spectacle est fait pour le théâtre, il ne pourrait pas être ailleurs et il ne prétend pas être autre chose.

Est-ce une manière d’aller vers quelque chose de simple après l’expérience très lourde du cinéma ? Est-ce une forme de récréation ?
C’est un mode qui me permet de jouer une heure et demie sans m’arrêter, ce qui n’arrive jamais au cinéma et à la télévision. Je suis très sensible à l’archivage de ce que je fabrique, j’aime qu’il y ait des coffrets DVD par exemple ; le théâtre du coup n’est pas dans ma nature car il faut refaire. Quand je suis sur scène, je suis très heureux, mais je ne suis pas fait pour ça. Je ne sais pas si c’est récréatif, mais il y a un truc salvateur au théâtre : quand les gens sont là, qu’on lance la bande-son et que c’est à toi, personne ne t’arrêtera. Tu vas pouvoir dérouler ton énergie d’acteur sur la totalité du spectacle. Je pense que c’est sur scène qu’un acteur progresse, alors qu’à la télévision ou au cinéma, on utilise ce qu’on sait déjà faire. J’ai vraiment l’impression que la peur de la scène fait que tu en ressors grandi en tant que comédien. Je ne me vois pas oublier ça.

Parmi tes envies, y avait-il celle de jouer aux deux sens du terme, musicalement et dramatiquement, avec toute la virtuosité que cela nécessite ?
Très clairement. Je ne sais pas si c’est honteux, mais j’ai un caractère un peu showman. Est-ce que ça date du conservatoire, où il y a un bain compétitif ? Mais c’était une motivation. J’ai appris à jouer de la viole de gambe pour le spectacle, et même si je n’en joue pas particulièrement bien à l’arrivée, c’est le trajet qui m’a plu : aller chercher une professeur et lui dire que dans trois mois je devais pouvoir en jouer tous les soirs. Généralement, quand on voit des acteurs qui sont un peu musiciens, on sent que leur numéro musical est enfermé, qu’ils arrêtent de jouer la comédie pour canaliser leur concentration sur la musique. J’essaie au contraire de faire cette performance qui consiste à ne pas s’arrêter de jouer, à en déconner, à ne pas regarder ce qu’on joue, à manger un sandwich en même temps, à rester tout le temps le personnage. Est-ce que ces numéros sont une frime, et est-ce que cette firme fait partie du métier ? Je sais en tout cas que j’aimerais voir ça chez d’autres. Je suis impressionné de voir Will Ferrell qui chante bien, même quand il fait le con et qu’il imite Robert Goulet dans le Saturday Night Live. Et que dire de De Funès qui dirige réellement l’orchestre de Strasbourg dans La Grande vadrouille sans bouger de son personnage pour autant, en donnant autant d’importance à la partition qu’à la mèche de sa perruque. Je veux faire partie humblement de cette famille-là.

La structure du spectacle est plus musicale que scénaristique. Il y a quatre plans : la leçon, les monologues, la réparation de l’orgue et la messe. Mais tout cela n’est pas chronologique…
Avec Jean-Christophe Hembert [metteur en scène du spectacle, NdlR], la première chose que je lui ai dite, c’était que je voulais que ce soit zappé, avec le moins de noirs possible. C’était important, cette absence de transitions. Je savais les choses les plus fragiles du spectacle. Un jour, je suis allé voir Jean-Christophe, et je lui ai dit que je ne savais pas comment on allait faire, mais que j’avais l’intuition que le spectacle devait se terminer avec Bach qui jouait du piano sur un de ses gamins. Quand tu balances juste ça et que tu ne sais pas où tu vas, il faut toute l’amitié et le professionnalisme de Jean-Christophe pour ne pas mettre en doute ces choses fragiles-là, car il sait bien que la valeur est là-dedans. Le fait que Bach vienne perturber de manière iconoclaste une messe, je l’ai toujours su, car il fallait une vraie colère qui s’exprime contre Dieu. Je savais évidemment qu’il y aurait une leçon et que ce serait le corps du spectacle. Mais pour la structure, je ne me suis pas fait chier et j’ai fait confiance au mode théâtral. C’est au théâtre que j’ai vu les structures les plus décousues, les metteurs en scène les plus libres de nous présenter les choses au moment où ils le voulaient…

Est-ce que c’était lié au fait d’avoir écrit le texte assez tard, même très tard…
Il était fini quatre heures avant la première ! C’est un cauchemar… Je me mets moi-même dans des situations extrêmement perturbantes pour mes collaborateurs qui n’ont d’autres recours que l’alcool pour supporter une telle chose (rires). Je réponds à mes angoisses personnelles : j’ai l’impression qu’un texte écrit meurt, qu’il arrête d’être inventé. Je ne peux pas répéter, tout bêtement ! Ce n’est pas de l’impro, car le soir de la première, même si j’ai fini quatre heures avant, j’étais au mot près. Mais la prière à Dieu, je ne l’ai pas écrite. Je disais à mon scénographe : «Je me mettrai là, je dirai une prière et je vous ferai un signe quand ce sera fini». Évidemment, il ne l’a pas vu le soir de la première ! Je ne veux pas faire risquer à mes moments, à mes répliques, l’accueil de deux personnes. C’est peut-être la véritable raison du fait de ne jamais avoir écrit en avance pour Kaamelott. Je ne voulais pas que des types le lisent chez eux. Et j’ai été assez malheureux de ça sur David et Madame Hansen. J’ai eu une chance, c’est qu’Adjani est comme moi, et le jeu entre nous résidait dans ce qui n’était pas sur le papier. Tous les matins au maquillage, on s’apprêtait à jouer effectivement ce qui était prévu, même au mot près, mais il y avait l’esprit de garder un secret sur ce qui allait se passer. Il y avait peu de prises, et si la première était bonne, pas besoin d’en refaire une autre, même si elle n’était pas parfaite. Elle avait un esprit qu’on ne retrouverait pas ensuite. J’organise ma précarité : je me fous dans la merde. Pas par plaisir masochiste, parce que je crois que c’est comme ça qu’on fournit un spectacle vivant.

Dans Que ma joie demeure !, on retrouve le grand thème qui traverse tout ce que tu as écrit jusqu’ici, à savoir celui de la transmission, mais qui prend d’autres formes, comme la peur de ne pas transmettre une technique à ses propres enfants…
C’est très compliqué, car je ne transmets pas ce que je fais à mes enfants. Bach le faisait, mais je pense qu’il les faisait chier. Moi, je ne me force pas : j’encourage, j’engueule… Ma mère m’a forcé à être au conservatoire ; ce n’était pas de la transmission, c’était de la sévérité afin que je remplisse ma tête de quelque chose d’artistique. Moi, je n’arrive pas à le faire. Je commence avec mon fils à faire du rythme, mais avec la priorité que ça reste ludique. Plus je vieillis, plus je suis sûr que l’on peut faire appel à d’autres atouts pour inculquer des idées aux gens, notamment l’amour du spectacle et surtout l’humour. Dans David et Madame Hansen, pour la première fois, je ne joue pas le personnage qui transmet, mais le naïf, celui qui reçoit. C’est peut-être cela qui a déstabilisé une partie du public. Je ne suis pas le mentor du film, et je ne l’avais jamais fait nulle part avant. Même dans mes premières pièces, j’étais celui qui voit clair et qui est entouré de gens qui voient mal, ou en retard, donc celui qui a l’ironie et le cynisme.

À propos de David et Madame Hansen… Quelles leçons tires-tu de cette expérience, positives et négatives ? Sachant que ça n’a pas été simple…
Ah non ! Eh ben, premièrement, ça n’a pas été simple alors que ça aurait dû. C’était financé dans une grande maison, ce n’était pas un truc d’époque, il n’y avait pas cinquante mille acteurs : ça aurait dû rouler. Il y a eu plein d’accidents, sans arrêt : le texte, l’acteur… Et ce n’était pas des accidents de surface, mais des accidents profonds. La leçon, elle est simple : il faut garder sa place à la toute petite flamme fragile qui donne envie de faire les choses et ne pas se laisser bouffer par son environnement. Je veux bien faire du cinéma, mais je ne veux pas subir le monde du cinéma. Qu’est-ce que c’est que le métier ? Ne pas se faire bouffer par le milieu…

Pour parler de la suite… Ça doit te gonfler à la longue que l’on te parle de Kaamelott au cinéma, mais c’était annoncé à la fin de la série…
Ça ne me gonfle absolument pas. Je te passe les problèmes contractuels, mais si je me lance dans la trilogie, plus Kaamelott Résistance, qui couvre toute l’époque entre l’absence d’Arthur et le pouvoir de Lancelot et qui sera une série de nouvelles et idéalement un unitaire M6 de 90 minutes, j’en ai pour douze ans minimum. Donc je veux que ce soit clean. Pour l’instant, c’est en impasse juridique sur les droits, sur l’autonomie que je conserve sur l’œuvre. Mais j’ai obtenu la majorité des choses que je voulais : le fait que Jean-Christophe Hembert soit producteur exécutif, quelque chose de capital pour moi, le fait que les décisions sur la licence se passent chez moi… Il y a aussi la série Vinzia, en développement chez Canal +, et deux trois petites choses. Et j’aimerais bien lancer quelque chose de très autonome, une chaîne Youtube, un truc fait maison, avec des choses régulières. Ça m’intéresse beaucoup, cette autonomie complète, de 0 à 100, de l’écriture à la post-production. Tu postes de chez toi et tu attends !

Que ma joie demeure !
À l’Opéra Théâtre de Saint-Etienne le lundi 31 décembre
DVD chez Universal vidéo

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