I COMETE, Le Monde après nous, My Favorite War... Les films de la semaine

Indispensable

★★★★☆ I COMETE

L’été dans un village de Corse. Une succession d’événements ordinaires, de saynètes entre habitants de tous âges parlant du quotidien et laissant deviner des histoires plus souterraines, des relations plus complexes où le non-dit et le non verbal pèsent parfois plus lourd que la parole…

Un ovni ! Construit de la façon la plus linéaire possible, cette succession d’instantanés animés — qu’on suppose chronologiques le temps d’un été — capture des “moments“ en apparence aléatoires parmi les groupes et tranches d’âge de la petite communauté villageoise. Prises une à une, les séquences sont anodines (discussions entre amis, gamins, ados, vieux, voisins ; bagarres, drague, fêtes…) ; mais leur agencement révèle progressivement les relations complexes entre les “gens du crus“, les pièces rapportées, les touristes. Et puis les cadavres dans les placards surgissent, liés à l’attachement à la terre ou aux conflits entre familles. Avec un art consommé de l’ellipse — la discrétion est ici de mise… — Pascal Tagnati nous fait ressentir l’âme intime du village, nous plaçant en son milieu, observateur invisible et privilégié. Très loin des caricatures, même si le film n’hésite pas à jouer avec les clichés sur la corsitude, et interprété par une troupe impeccable — dont Jean-Christophe Foly, vu dans L’Angle mort. On aurait pu rester deux fois plus longtemps devant ce film fascinant.

Un film de et avec Pascal Tagnati (Fr., int.-12 ans, 2h07) avec également Jean-Christophe Folly, Cédric Appietto


À voir

★★★☆☆ Le Monde après nous

Fils de cafetier et écrivain en devenir, Labidi tire le diable par la queue entre Paris et Lyon, en attendant de finir son roman. Sa rencontre avec Elisa le pousse quitter sa coloc’ et à “monter en gamme” dans les petits jobs ou les combines afin de vivre avec elle dans un bel appartement. Mais que les temps sont rudes !

Avec ses grands yeux écarquillés et son apparente timidité, Aurélien Gabrielli rappelle le jeune Claude Langmann des œuvres autobiographiques de Claude Berri. Son allure fragile abrite cependant un néo-Rastignac — un brin procrastinateur, certes — à l’ambition et l’entêtement suffisamment solides pour triompher des embûches de la société houellebecquienne. Ce monde du prolétariat uberisé devant frauder pour espérer survivre, vomissant les transfuges de classe mais en tolérant quelques échantillons pour se laver l’âme. Labidi l’écrit d’ailleurs avec amertume dans un texte cinglant lu en voix off : « je suis le bouffon des bourgeois : on me demande de raconter ma vie et sa précarité pour qu’ils voient enfin que ça existe. Il n’y a aucun plaisir à voler ; aucune satisfaction à tricher. Et pour s’en sortir il faut avoir de l’énergie ». Il y a trente ans, la jeunesse semi-précaire s’en tirait avec des pirouettes dans Un monde sans pitié d’Éric Rochant (1989) ; celle d’aujourd’hui, désenchantée depuis le berceau, n’a même plus le goût à la gaudriole. Et pourtant, malgré le constat qu’elle dresse, elle croit encore en la possibilité du bonheur. C’est l’une grande force de ce film : nous convaincre (le miracle toujours renouvelé de Louise Chevillotte y contribue grandement) à l’existence d’un monde d’après ici-bas.

De Louda Ben Salah-Cazanas (Fr., 1h25) avec Aurélien Gabrielli, Louise Chevillotte, Saadia Bentaïeb…


★★★☆☆ My Favorite War

Ilze revisite son enfance dans la Lettonie des années 1970-1980, alors incluse dans l’URSS. Entre pénuries et propagande, elle raconte la fabrique de petits Soviétiques assujettis à l’État, jusqu’à la Pérestroïka qui rendra leur autonomie à son pays et ses concitoyens, en libérant également la vérité sur son Histoire.

Imposé il y a une dizaine d’année par Ari Folman, le documentaire d’animation est désormais un genre en vogue dont la forme hybride inspire de nombreuses variations. C’est le cas ici, où le mélange d’images d’archives, de séquences contemporaines vient scander les reconstitutions graphiques “semi-réalistes“ à l’animation roide de personnages aux physionomies volontairement inquiétantes, rappelant des aliens. L’ambiance chromatique n’est guère plus riante, avec ses couleurs ternes délicieusement rideau-de-feristes — même la série polonaise Lolek et Bolek paraît plus joyeuse par comparaison. Il faut sans doute ce va-et-vient entre le monde actuel et celui d’alors, gauchi par la légende rouge, pour mesurer à quelle distance du réel vivaient les Lettons. Il faut aussi se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps l’hégémonie soviétique pesait sur la moitié de l’Europe ; ou encore que les totalitarismes détestent la connaissance de l’Histoire objective. Deux bonnes raisons de voir My Favorite War.

Documentaire d’animation de Ilze Burkovska Jacobsen (Nor.-Let., 1h22)


On s'en contente

★★☆☆☆ Les Sans-dents

Autour d’une décharge, à l’écart de la ville, une bande de semi-clochards vivant de maraudages deviennent la proie d’une brigade policière aussi acharnée que stupide. Leur résistance poético-anarchique s’organise…

Immense auteur de BD, Pascal Rabaté poursuit sa contribution au 7e art mais hélas (pour lui comme pour nous) ne livre toujours pas de long métrage totalement convaincant. Dans ce conte anti-société-de-flicage-et-de-consommation, tout est lourd, appuyé ou déjà vu — et en mieux ailleurs. Ainsi, sa horde de miséreux vit-elle dans la crasse et la récup bricolée mais… ce sont des pauvres, donc ontologiquement des gentils. On est bien loin de la subversion cruelle de Scola et de ses Affreux, sales et méchants qui plaçait le curseur à un autre niveau de manichéisme ! Par ailleurs, nos purs s’expriment par des borborygmes à défaut de parler ; la référence à Thermroc de Faraldo est hurlante, à ceci près qu’ici, la violence est comme inexistante, par magie. C’est bien joli de faire dessiner des φ par des voitures sur la chaussée, mais ça donne un côté dérisoire à l’intention révolutionnaire du projet. Un peu comme si Les Sans-dents était un Kervern-Delépine Canada Dry — c’est-à-dire, pour les plus jeunes, à 0° d’alcoolémie.

Un film de Pascal Rabaté (Fr., 1h25) avec Yolande Moreau, Gustave Kervern, François Morel…


On peut s'en passer

★☆☆☆☆ Les SEGPA

Élèves médiocres dégradant l’image de leur bahut, les SEGPA sont virés, mais récupérés par le plus huppé des collèges marseillais. Détonant au milieu des forts en thème, ils se font pourtant des amis, avant de découvrir que leur présence sert en réalité un projet du perfide Principal…

S’il fallait un argument supplémentaire pour dessiller les yeux qui s’obstinent à penser que le niveau scolaire ne baisse pas (même si la France ne cesse de dégringoler au classement PISA et si les élèves ukrainiens néo-arrivés trouvent les épreuves faciles), alors les SEGPA peut faire l’affaire. En 1980, une bande de branquignols (les Sous-Doués) tentait de décrocher le sésame leur permettant d’entrer dans la vie active : le bac ; aujourd’hui, des bras cassés comparables se contentent de viser le brevet des collèges pour… heu… on ne sait pas trop quoi faire. Comme le film, en vérité, version gentille et “propre” de la websérie, qui ne brille pas par son originalité — on dirait du Gastambide pour les enfants. Seul personnage propre à arracher un sourire : la grand-mère incorrecte. On mise en revanche une pièce sur l’un des comédiens, Charly Nyobé. À suivre.

Un film de Ali & Hakim Boughéraba (Fr., 1h39) avec Ichem Bougheraba, Walid Ben Amar, Arriles Amrani…

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