Dub Inc… Et tout devient possible

Plus de 20 ans, que l’aventure a démarré, ici, à Sainté. Ce samedi soir, le temps d’un concert enflammé au Zénith mêlant ferveur, émotions, et communion, on s’est repassé le film… Et quel scenario !

Texte : Cerise Rochet ; Photos : ©Toine

Il commence à geler, ce samedi soir de la fin novembre. En traversant les petits carrés de pelouse qui jalonnent le parking du Zénith de Saint-Etienne, l’herbe craquelle sous les pieds, sans que personne ne semble ressentir le froid qui s’installe. Certains pique-niquent des sandwichs enveloppés dans du papier d’alu, assis dans le coffre de leur bagnole. D’autres enchainent les selfies… Le plus difficile étant d’arriver à tenir dans le cadre, lorsqu’on veut être 12 sur la photo. Mais qu’importe que deux ou trois haut de têtes soient coupés : l’important ce soir, c’est de montrer qu’on fait partie des chanceux qui y sont… Et puis, de se créer des souvenirs, aussi.

Le hall du Zénith est cafi de monde. A l’approche du bar, on aperçoit un membre du groupe qui papote, à la cool. Une date ici, à la maison, c’est forcément quelque chose de particulier, pour les 7 de Dub Inc. Une effervescence singulière. Une ambiance un peu chill’, en apparence au moins. Mais sans doute, une pression de dingue, que de devoir mouiller le maillot devant sa famille… D’autant qu’ici, ce samedi soir, la famille si on compte bien, c’est environ 7200 personnes.

A Sainté, nul ne peut ignorer Dub Inc

Dans la foule, il y a ceux qui les ont déjà vus deux fois. Ceux qui les ont déjà vus 5 fois. Ceux qui les ont déjà vus 10 fois. Et puis ceux qui sont là à chaque fois. A Sainté, nul ne peut ignorer Dub Inc et dans la salle, la plupart des spectateurs connaissent, aiment et accompagnent le groupe depuis plus de 20 ans (les autres n’étaient pas encore nés, mais ont chopé le virus avant de savoir marcher, main à couper). Depuis les débuts, depuis les premiers concerts au regretté Mistral, depuis le premier EP signé Dub Incorporation, que beaucoup avaient réussi à choper en refilant un CD vierge et des tonnes de steuplé à un copain qui gravait à la chaîne, tous les soirs en cachette, dans le bureau du padre. Que le temps passe… Tout le monde a un peu vieilli… Et la ferveur a pris une ampleur incomparable, pour un groupe de reggae indépendant et non soutenu médiatiquement. Alors, cette réussite, la leur… Ici, à Sainté, c’est un peu celle de tout le monde. Eux, les petits gars de ce chez nous dont habituellement tout le monde se fout, qui promènent leur musique sur toutes les scènes du monde, des plus grandes aux plus confidentielles… Ils sont un peu nous, et on aimerait bien être un peu eux.

Bien sûr, ce samedi soir, chacun est là pour la musique. Mais chacun est aussi là pour prendre part à une énorme soirée entre Steph’, et faire ainsi l’expérience d’un très fort sentiment d’appartenance. Le concert n’a pas encore démarré que toute la salle se dresse de fierté, écharpes vertes en l’air. Parler de Dub Inc, c’est avant tout parler du peuple de Sainté. Ce soir, les meilleurs supporters de France attendent leurs champions. Alors, quand le noir se fait… Les téléphones surgissent, pour capturer ce grand moment d’exaltation. Avec son « Sainté, est-ce que vous êtes là ? », Bouchkour lance une ola vocale, qui parcourt les rangs du tout premier au tout dernier. Et puis les notes retentissent. On les connait ces notes. On sait ce qui arrive. La foule est prête à reprendre au diapason, de toute sa voix, et de tout son corps. « Tout ce qu’ils veulent, c’est une France qui ferme sa gueule » ? Visiblement, c’est pas pour maintenant.

Un moment de communion

Le rituel est en place. 7200 personnes, qui connaissent absolument tous les mots de tous les titres de tous les albums (y compris le dernier, Futur, sorti il y a à peine deux mois), et qui les hurlent en chœur, aussi fort que possible, en s’accompagnant d’une main qui se balance au-dessus la tête. Une main en l’air… Rien de plus basique, et pourtant, ça devient tellement grand, quand ce sont toutes les mains qui se balancent en même temps. Pour nourrir le moment de communion, sur scène, on se donne. Peut-être plus que sur n’importe quelle autre date. Genoux levés, riddims enflammés, voix parfaitement posées : elle est là, on la sent, toute cette énergie positive et contagieuse, véritable signature, qui a fait de la bande des Sept le groupe de reggae français le plus écouté au monde. Le plus aimé. Le plus grand.

Définitivement, Dub Inc est un groupe de scène. Sans elle, jamais, il ne serait devenu ce qu’il est. Au début des années 2000, lorsque, déjà, médias et radios se bouchaient le nez à l’évocation du mot « reggae », les labels n’ont pas voulu tendre l’oreille. Dub Inc sera un groupe indépendant, tant pis. De scène en scène, de date en date… Formidablement poussés par la solidarité stéphanoise qui se démenait alors à grand coup de bouche à oreille pour les aider à trouver des lieux susceptibles de les accueillir, les membres du groupe ont fait leurs armes, trouvé leurs marques, affiné leur style, engrangé de l’expérience. Faire parler de soi, convaincre le public présent, pour qu’un jour, il soit plus grand. Amen.

Quelques années plus tard, à force de ténacité, d’ardeur et de talent, la bascule va enfin se faire. « C’est arrivé entre le deuxième et le troisième album, en 2006-2008, se souvient aujourd’hui Komlan. Notre engagement sur scène, notre omniprésence ont fini par payer. Sans label, en indépendant, on galérait pour réussir à jouer… Et puis, au moment de la sortie du 3e album, on s’est retrouvé sur la grande scène du Paléo. Tout avait changé de dimension ». La bascule, en effet, n’a pas fait semblant. Du petit groupe de Sainté qui se bagarre pour exister, Dub Inc va devenir un phénomène social autant que musical.

Grâce à l’indépendance, autrefois laborieuse, le groupe acquiert une prestance, une aura qui n’a d’égale que leur liberté. Libres de jouer où ils veulent, qu’importe, que la date remplisse les caisses ou non. Libres de chanter ce qu’ils veulent, et tant pis, si certains continuent à se boucher le nez par élitisme, mégalomanie, arrogance. Oui, voilà bientôt 25 ans que Dub Inc scande l’espoir de voir les individus s’unir pour construire un monde plus humain, le besoin de collectif et de solidarité, la force de la diversité, le respect des identités et du passé, l’envie de révolte joyeuse et calme contre les pouvoirs qui asservissent. 25 ans qu’ils scandent, sans pour autant faire la morale à qui que ce soit. Sans triche. Sans esbrouffe, ni discours facile.

« Ça a tenu parce qu’on est une bande de potes »

Car les membres du groupe s’appliquent d’abord à eux-mêmes les principes qu’ils aimeraient un jour voir élevés au rang de norme. Sans doute, tient-on là une partie de la recette du succès fou qui les accompagne désormais. « Ça a tenu tout ce temps parce que le collectif est ce qu’il est, parce qu’on est des potes et qu’on a donc énormément de choses en commun, analyse Komlan. Également parce qu’on se lance constamment dans de nouveaux projets, dans de nouveaux challenges, et que c’est un bon moyen de ne jamais s’ennuyer. Et puis aussi… Parce qu’il a été très vite acté, dans le groupe, que tous les revenus seraient partagés à parts égales. Comme ça, pas de malentendu ».

Loin des bla-bla

Quoi de plus fédérateur, alors, qu’un groupe qui montre l’exemple, loin des bla-bla, loin du starsystem, loin du mainstream et de la mécanique à fric ? Qui, souvent dans l’ombre, apporte son soutien, ci, à une asso en manque de moyens, là, en répondant à la proposition de concert d’un fan perdu du bout du monde. Au-delà de la musique, Dub Inc est, en modèle, la preuve que les choses sont possibles.

« Nous sommes des enfants issus de l’exil »

Si bien qu’à la demande de Komlan, ce samedi soir au Zénith, 7200 personnes lèvent le poing en même temps pour manifester leur désapprobation de l’idéologie d’extrême droite. Si bien que, lorsque le groupe entame Exil, écrite en hommage à leurs parents et à leurs grands-parents, et dédicacée à toutes les personnes qui fuient leur pays, à tous les migrants, à SOS Méditerranée ainsi qu’à toutes les assos qui viennent en aide aux personnes exilées, 7200 personnes reprennent d’une seule voix. « Fier de l'être, faut-il que l'on s'répète - Nous sommes des enfants issus de l'exil - Mon mal être s'est transformé je vous le souhaite - Car mes racines sont ma force aujourd'hui ». Si bien que lorsque Bouchkour, en acoustique, reprend l’un de ses titres écrits en kabyle, silence se fait dans la salle, ne laissant place qu’à l’émotion et aux poils qui jouent à la poule déplumée.

Alors, peut-être, au beau milieu de ce public si bigarré, si pluriel, si éclectique, y avait-il ce samedi soir des spectateurs qui, au quotidien, ne partagent pas tout à fait ces valeurs-là. Mais le temps d’une soirée… Ils n’étaient plus que des humains, capables de reprendre en chœur des messages de solidarité, d’entraide et de diversité. C’est là toute la magie Dub Inc : venir chercher le meilleur chez chacun, démontrer que tout le monde a en lui une part de bon, une part capable d’échange et de partage, au profit d’un tout harmonieux. Comme la France en finale de coupe du Monde, Dub Inc au Zénith de Sainté porte ces petits moments de grâce par l’union, qui regonflent ceux qui les vivent, et qui portent à croire que tout n’est peut-être pas perdu. So stéphanois.

Dub Inc, nouvel album Futur, chez vos disquaires ou sur toutes les plateformes ; achat en ligne sur www.dub-inc.com.
Prochain concert au Zénith de Saint-Étienne le 4 novembre 2023.

Grand merci à ©TOINE pour ses photos