portrait / Quelque part entre le théâtre et le catch, l'improvisation est un art hybride à la fois éphémère et jubilatoire, un sport de combat où le rire est la seule règle. Nous sommes allés à la rencontre de la LISA, une troupe de comédiens qui sévit depuis vingt-trois ans à Saint-Étienne et dans tout l'hexagone.
Ce soir-là, au numéro 4 du square Violette, la soirée est placée sous le thème du cinéma. Plutôt cocasse puisque La Comédie Triomphe est installée depuis l'automne 2015 dans un ancien ciné porno, lequel avait connu son heure de gloire dans les années soixante-dix et quatre-vingts. La LISA, acronyme pour Ligue d'Improvisation Stéphanoise Amateur, est dans la place. Ayant bravé le froid et le brouillard nocturne de ce lundi d'hiver, une soixantaine de spectateurs s'installe tranquillement sur les fauteuils rouges du café-théâtre. Légèrement gradinée, la salle offre une bonne vue sur la scène, où que l'on s'installe. La maîtresse de cérémonie accueille le public et, avant de présenter les 10 comédiens présents ce soir, explique sans détour. « Ce soir nous allons rejouer pour vous les plus grandes scènes de films qui ne sont jamais sortis en salle ! » Tout au long de la soirée les spectateurs seront généreusement mis à contribution, invités à choisir les binômes qui monteront successivement sur scène, encouragés à imaginer le titre d'improbables films et même à décider de leur genre : drame, science-fiction, horreur, policier, comédie musicale, super héros, comédie romantique, muet, sitcom, documentaire animalier, western... Place au spectacle vivant, au théâtre de l'instant.
Tout peut arriver
L'intitulé des sketches qui se succéderont ce soir prêtent déjà à rire : La malédiction du mouchoir, Le cheveux mou, L'escalier sans fin, Warum glaubst du diesem Papagei ? ou encore À l'ombre du gros jambon. Sans concertation possible, déjà concentrés sur les premières idées qui inondent leur imagination, les comédiens se placent dans le décor minimaliste (quelques meubles basiques autour d'un porte-mantaux) et se lancent dans l'arène. Pendant une heure et demie, les scènes s'enchaîneront dans une ambiance survoltée. Sans filet, les improvisateurs endossent tous les rôles : tout est permis, tout peut arriver. Même le régisseur, installé en fond de salle, manie instinctivement musiques et lumières pour habiller la battle. Pour la dernière improvisation, la troupe entière est à l'œuvre dans un ultime sketche hilarant. Bouquet final, éclats de rires, apothéose. Une poignée de spectateurs désignés-volontaires avant le spectacle remettent quelques Oscars, récompensant la meilleure actrice, le meilleur acteur et la meilleure scène. Sur l'inoubliable bande originale du film Le professionnel (signée Ennio Morricone), les comédiens quittent la salle sous les applaudissements nourris du public debout. Quelle se présente sous la forme d'un match ou d'un spectacle thématique, une soirée improvisation est assurément une expérience à vivre entre amis, le genre de show qui déride vos zygomatiques et vous redonne la banane pour plusieurs jours.
Dans le rétroviseur
Après le show, nous retrouvons les comédiens sur les canapés dépareillés qui occupent le petit salon, là où jadis se tenait le balcon du cinéma. Ils sont presque tous là, rassemblés afin d'évoquer pour nous l'histoire de l'association. Il y a d'abord les anciens : Pierre, Marie- Ève, Patrick (en Une de notre nuémro de février, NDLR), Agnès, Katar et Fabien. « En 2000, nous avons quitté la Comedia del impro del arte, qui comptait près de cent cinquante élèves. C'est de cette scission qu'est née La LISA. Nous souhaitions remettre les échanges au cœur de notre projet, inviter des équipes extérieures à partager des matchs d'impro, organiser des déplacements pour répondre à des invitations. » Au fil des années, d'autres comédiens ont rejoint le noyau dur originel : Julien, Vanessa, Philippe, Chloé, Gérald, Céline, Thomas, Mélissa... La troupe compte aujourd'hui une grosse vingtaine de membres, très précisément onze femmes et onze hommes, âgés de vingt-six à cinquante-deux ans. Le renouvellement se fait naturellement, sans réelle volonté de recrutement. Les « petits derniers », Claire et Denis, sont là depuis peu. « Nous sommes tous bénévoles dans l'association pour laquelle nous payons notre cotisation annuelle. Sur les vingt-deux membres, huit sont cependant professionnels, c'est-à-dire intermittents du spectacle au sein d'autres structures, en tant que comédiens, clowns, conteurs ou formateurs. Les autres viennent majoritairement du monde de l'enseignement ou des ressources humaines. »
Nomades
Avant de poser ses valises à La Comédie Triomphe il y a un peu plus de six ans, La LISA s'était plus ou moins durablement installée dans divers lieux stéphanois. « Nos toutes premières répétitions se tenaient dans le théâtre des Beaux-Arts, qui n'existe plus. Nous sommes ensuite restés six ou sept ans à L'Assommoir, qui est devenu La Tanière. Nous avons en fait joué un peu partout : au Lobster, au Théâtre de la Grille Verte, à la Bodega, au Remue-Méninges, au Théâtre Libre, au Musée d'Art et d'Industrie, sous le chapiteau des Kipouni's, dans le Parc Joseph Sanguedolce à l'occasion des Before de Couriot by La Guinguette Stéphanoise, au château de Saint-Victor, au Fil, au Solar, à La taverne du Gobelin Farci ... » Si La LISA se produit dans tout le département (Montbrison, Feurs, Burdignes, Gramond, Saint-Appolinard, Saint-Héand, Trelins...), elle se confronte très régulièrement à d'autres équipes dans tout l'hexagone, de Marseille à Bordeaux, en passant par Le Havre, Saint-Malo, Clermont-Ferrand, Nice, Aix-en-Provence, jusqu'en Belgique, en Suisse et au Luxembourg. Certes fondée sur la franche poilade, l'improvisation n'en est pas moins une discipline rigoureuse qui demande de vraies qualités de lâcher prise et d'écoute. « Nous répétons chaque semaine, avec parfois des intervenants extérieurs, pour travailler toutes les subtilités du jeu d'acteur : la relation, le regard, la justesse ou encore la gestion de la frustration. » Très loin d'être le fast food du théâtre à texte, l'improvisation est un art à part entière, une incomparable gymnastique de l'esprit, une discipline cathartique qui semble faire autant de bien aux comédiens qu'à leur public.
Les prochains rendez-vous de la LISA
Rencontres improvisées
7 février Le Solar, 4 mars Burdignes
Les Lundis de l'Impro
20 février, 20 mars, 3 avril La Comédie Triomphe
Impro'mâtrus (jeune public)
26 février La Comédie Triomphe
La LISA chez le Gobelin
9 mars La Taverne du Gobelin Farci
La semaine de l'impro
du 3 au 8 avril divers lieux à Saint-Étienne