Le souffle des chevaux de Bartabas

Ex Anima

Parc de Parilly

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Nuits de Fourvière / C’est sa dernière tournée de ce genre. Depuis trente ans, Bartabas mène la compagnie Zingaro d’Aubervilliers vers différents continents avec chapiteau, écuries et une quarantaine d’animaux. Cet été, il s’arrête six semaines à Lyon où il a présenté chacun de ses spectacles. Cette fidélité est aussi celle qu’il voue à des animaux, seuls mis en avant dans cette fascinante contemplation qu’est "Ex Anima".

Pourquoi est-il donc intéressant d’aller voir de quoi retourne l’art équestre de Bartabas ? Certains – nombreux ! - d’entre vous le savent déjà, qui le suivez depuis trois décennies dans des pérégrinations ultra enjouées et techniques telles Battuta ou Calacas. Parfois plus crépusculaires avec l’avant-dernier né, On achève bien les anges - Élégies, post attentat contre Charlie Hebdo.

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Pourquoi se rendre sous cette toile de 1300 places où s’ébrouent des animaux ? Le temps de la voltige est finie. Les cavaliers pourtant, selon leur dire, ne sont pas frustrés. Au sol, encadrant dans l’ombre ces animaux avec lesquels ils ont grandit et qui eux aussi finissent leur carrière, ils terminent leur récit commun. Il s’agit tout à la fois d’une histoire d’humains, d’animaux mais aussi d’époque. Ces épopées commencées dans les années 80 (voire précédemment comme pour Ariane Mnouchkine et son Théâtre du Soleil) quand l’argent coulait à flots est révolu. Pas de tournée internationale pour Ex Anima, créé à l’automne 2017 et qui aura fait un joli parcours hexagonal s’achevant à Toulon en décembre prochain.

Élégies, par son thème mortifère, signait la fin du faste malgré une scénographie exigeante. Bartabas y a perdu un ami – Cabu - et semble-t-il, comme tant d’autres, des illusions. Alors voici qu’est venu Ex Anima, le souffle de l’âme selon la traduction latine. « Dans ce spectacle on écoute les chevaux. On ne les oblige pas à faire quelque chose. On les voit penser. Ils jouent » dit-il. Ainsi se succèdent des tableaux de quelques minutes où les équidés reproduisent une partition qui leur ressemble. Bien avant Ex Anima, Bartabas a refusé d’imposer quelque chose à son troupeau : « si je n’avais pas eu vingt chevaux noirs à tête blanche, je n’aurais pas eu l’idée de Calacas. Je n’aurais pas cherché cela (ce thème du Mexique et de la célébration joyeuse des morts) » confiait-il en janvier dernier. Dans Ex Anima, les chevaux sont assemblés ensemble, par caractère, parce que l’équipe les connaît très bien. Et ainsi tour à tour, ils interprètent des scènes de la vie quotidienne de ce que l’humain leur a assigné durant des siècles (avant de les délaisser au XXIe) : scène de guerre, de travail, de transport, de copulation, de jeu, de force, de labourage, etc.

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Immersion

Autre constante chez Bartabas : l’importance de la musique. « Les chevaux ne travaillent pas avec la musique mais peuvent restituer ce qu’ils savent sur de la musique ». Dans Ex Anima, quatre musiciens-compositeurs livrent une partition intégralement pour flûtes avec des musiques de Chine, du Japon, des terres celtiques. L'idée ? Retranscrire des sons émanant de la nature : la pluie, le vent… le fameux souffle du titre. Sur la piste, cela permet d’accompagner les chevaux, dans le calme presque envoûtant de certaines scènes tout comme le tournoiement d’autres.

Mais surtout, il est bien question, dans le travail de Bartabas, et avant toute considération, de sensibilité. Non, il n’est pas question bêtement de défendre l’animal façon Bardot disjonctée ou parti animaliste plus désespérant que désespéré. Bartabas confiait à Joëlle Gayot dans À voix nue sur France Culture en janvier 2008 que « la seule chose qui différencie l’Homme de l’animal, c'est d'être conscient qu’il n’est qu’une particule dans l’univers. C’est pour ça que le premier a inventé l’art, Dieu… » disait-il. « Mon rapport aux chevaux passe par le corps, et non par la vue, la parole. »

En chorégraphe, il se déleste donc du verbe pour mettre à nue la pensée. Dans Ex Anima, cela apparaît par transparence. Comme si le cheval nous était montré dans sa plus simple et directe composition. Lui qui se destinait à être entraîneur de chevaux de courses mais a changé d’avis quand il s’est aperçu « qu’il fallait plus entraîner le propriétaire que le cheval » soigne ses bêtes. Il n'en fait pas ses "choses". Au Fort d’Aubervilliers, leur QG depuis 1989, il a constitué une troupe d’une quarantaine de chevaux. Tous – 39 – sont venus à Bron faire le déplacement, y compris les trois qui n’ont pas de rôle dans Ex Anima. Photographié façon Harcourt (par Marion Tubiana), chacun a sa page, sa biographie plus ou moins vraie à l’image des vedettes d’un autre temps. Parfois, il leur est offert une vie plus conforme à ce qu'ils sont : ainsi Tsigane a-t-il été acheté à la police de Lille car il chargeait n'importe quand contre les manifestants. Il trouve ici un emploi à sa mesure (imposante) : traînant une poutre, il incarne le travail de forçat. Plus tard quelques loups rôderont sur la piste. Et renverront chacun de nous à notre fragilité. Ce n’est pas la moindre des qualités de ce spectacle si particulier qui achève le cycle d’une fidélité peu commune entre artiste, programmateur et public dans ce champ du spectacle vivant. En attendant une suite, autrement !

Ex Anima
Au parc de Parilly (Bron) dans le cadre des Nuits de Fourvière jusqu'au 24 juillet

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