Scoop

Mercredi 8 novembre 2006

Après l'excellent Match Point, Woody Allen remet le couvert londonien, toujours avec la plus jolie des Scarlett. Mais au drame métaphysique succède une fantaisie à la frivolité assumée. À moins que...Christophe Chabert

Notre Woody adoré, car oui, on adore à nouveau Woody Allen depuis ce grand film qu'est Anything Else, aime les coups doubles. Souvenez-vous : après Maris et femmes, un de ses chefs-d'œuvre, il tourne avec la même caméra parkinsonienne et les mêmes faux raccords Meurtre mystérieux à Manhattan, une comédie policière remarquablement efficace mais sans grande prétention, sinon celle de placer quelques références cinéphiliques bien senties. Comme si lâcher les chiens du drame et de l'expérimentation formelle l'épuisait au point de s'accorder dans la foulée un break rigolo. Mais les films, néanmoins, semblent dialoguer secrètement entre eux ; ils parlent la même langue, mais ne sont pas de la même humeur. Les plus attentifs auront ainsi noté que l'ami Woody avait carrément fait la théorie de cette pratique dans Melinda et Melinda.Scarlett et Scarlett
Match Point, film délocalisé à Londres, était un drame métaphysique et une sombre critique sociale ? Scoop, tourné au même endroit et avec la même actrice (Scarlett Johansson, qui en fait des tonnes, mais on ne la connaissait pas comme ça...), sera une pure comédie, le genre de trucs qu'Allen fait avec une aisance parfois un peu trop détachée. Mais les deux tourneront autour d'un meurtre "de classe" et, dynamique londonienne oblige, Scoop est en définitive assez réussi. Le pitch ne manque pas de sel : une apprentie journaliste plutôt nulle sur les bords (de la piscine) se retrouve un soir dans la boîte chinoise d'un magicien ringard (Woody lui-même, qui en fait beaucoup aussi, mais ses vannes sont parfois de haute volée...). Elle y croise le fantôme d'un grand reporter récemment décédé (Ian Mac Shane, le sublime salopard de Deadwood...) qui lui révèle un scoop sur un serial killer sévissant dans les rues de Londres : ce serait un fils d'aristo (Hugh Jackman, sans ses griffes de Wolverine). Entre gonzo journalisme et comédie catastrophe, l'enquête menée par le vieux zozo et la jeune donzelle donne lieu à un scénario quand même très attendu, mais sauvé par une certaine générosité dans l'excès burlesque. Car si dans Scoop tout est à peu près énorme (et on ne parle pas que d'une partie de l'anatomie de Scarlett), cette exagération fait figure d'exutoire après la sécheresse et l'austérité de Match Point. Et puis, mine de rien, Woody répète sur un mode mineur le discours développé dans son film précédent : l'attirance, sociale, du pauvre pour le monde des nantis et celle, sexuelle, des mêmes nantis pour le petit peuple, mais aussi la honte des riches quand il s'agit d'accepter ces pauvres-là dans leur monde. Seuls ceux capables de laisser leur morale au vestiaire et de renier leurs origines peuvent espérer grimper l'échelle sociale... Soyons honnêtes : Scoop, c'est pas du Pierre Bourdieu, mais le fait que Woody Allen ait jugé bon de lester cette fantaisie revendiquée de quelque gravité montre bien que le vieux renard en a encore derrière la pédale.