Dans Paris
Cinéaste jusque-là embourbé dans ses références littéraires et cinématographiques, Christophe Honoré réussit enfin (ou presque) un film où le plaisir de filmer et de raconter se conjugue avec le souvenir du cinéma qu'il a aimé. Christophe Chabert
Mais quelle mouche a piqué Christophe Honoré ? On avait pris l'habitude de le fourrer dans la liste des casse burnes officiels du cinéma français, et le voilà qui signe un des films les plus étonnants de la rentrée... Étonnant jusque dans son démarrage complètement foiré, 15 minutes hors sujet où l'on débite sans conviction des dialogues insipides en se tordant dans tous les sens pour montrer que l'amour, quand ça meurt, ça fait mal, entre autres banalités racontées avec des va-et-vient présent-passé poseurs. Foutez ce pénible court-métrage à la poubelle et concentrez-vous sur l'essentiel, la suite, qui en est l'inverse absolu !Liberté, le jourSoit deux frères : Guillaume (Romain Duris, pas mal), qui sombre dans la dépression après une rupture, et Jonathan (Louis Garrel, attention, bombe atomique !), qui ne fout pas grand-chose mais prend la vie du bon côté - le seul, d'ailleurs - c'est-à -dire celui des filles, qu'il tombe juste en clignant des paupières. Ils partagent avec leur père (Guy Marchand, qui bougonne génialement en robe de chambre) un grand appartement parisien, mais tandis que Jonathan s'en éloigne pour la journée, Guillaume reste prostré dans sa chambre à remuer les souvenirs (son ex, sa sœur suicidée, un 45 tours de Kim Wilde...). Ces deux dynamiques opposées font décoller Dans Paris : le parcours très nouvelle vague de Jonathan (trois filles en quelques heures !) repose sur l'imprévu, la spontanéité, le charme, la candeur - c'est hilarant ; celui de Guillaume, plus nouveau cinéma français, est intérieur, torturé, douloureux et consiste à se libérer du poids de la mémoire pour espérer partager à nouveau quelque chose avec le monde - c'est émouvant. Honoré s'amuse ainsi (et il s'amuse vraiment, tant la mise en scène semble souvent en état d'apesanteur) à construire son film sur le souvenir du cinéma des autres (un plan recopie à l'identique l'affiche de Domicile Conjugal de Truffaut, une séquence renvoie au cinéma muet comme dans certains Godard première période, une conversation téléphonique en-chantée comme chez Demy...) mais aussi sur l'envie d'être ici et maintenant avec ces personnages-là , si beaux, si proches. Franco-français, Dans Paris l'est jusque dans son titre, mais c'est sa force de montrer que ce cinéma a encore des ressources, pourvu qu'il se regarde le nombril sans cynisme mais avec beaucoup d'autodérision. Honoré le sait, et le prouve dès les premières apostrophes de Jonathan à l'adresse du spectateur. Oui, cela a déjà été fait, mais ça marche encore. Il y a même dans ce film fier d'être improductif quelque chose de secrètement politique : la liberté, de nos jours, est bien la seule chose qui ne s'achète pas.Dans Parisde Christophe Honoré (Fr, 1h32) avec Romain Duris, Louis Garrel, Guy Marchand...