A PERFECT DAY

Publié Mercredi 8 mars 2006

24h de la vie d'un homme dans le Beyrouth d'aujourd'hui. JOANA HADJITHOMAS ET KHALIL JOREIGE filme un monde arabe lorgnant vers l'Occident. Flottant. Luc Hernandez

Tout commence au lit. Avec la main d'une femme mûre caressant le visage d'un homme plus jeune, encore nu dans son sommeil. Jolie façon, tout en douceur, d'introduire un conflit de générations qui sera au cœur de ce deuxième long métrage de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, après Autour de la maison rose, tourné en 1999 et encore inédit. Car profitant de son sommeil, celle dont on apprendra qu'elle est la mère de ce Malek endormi, est en train de lui faire la leçon, le priant de ne pas enterrer les morts trop vite. A commencer par son père, disparu pendant la guerre civile du Liban en 1988 et dont ils doivent tous deux officialiser le décès définitif le lendemain, comme le stipule le délai légal de péremption. Il vaut mieux ne pas trop s'encombrer de la mémoire des cadavres, surtout quand elle porte le sceau inachevé de la disparition. Alors pendant ce temps-là, Malek dort, en songeant à la femme qu'il aime et qu'il rêve de retrouver quelque part dans Beyrouth. Mais sujet à des apnées de sommeil, il ne cesse d'échapper au présent qu'il voudrait pourtant vivre, loin du monde ancien.Beyrouth mieux que dans SyrianaOn voit bien le projet qui anime Hadjithomas et Joreige : donner à voir à travers le portrait de Malek un nouveau visage de Beyrouth, encore sur les cendres d'un passé traumatique mais déjà animée par des préoccupations contemporaines, tutoyant le monde occidental par son mode de vie et ses mœurs, les libertés individuelles et les plaisirs de la vie érotique. Pour cela, le duo de réalisateurs joue à fond la carte de l'esthétique, depuis les travellings au milieu de la ville sur fond d'electro soft, jusqu'à la photo de Jeanne Lapoirie (chef op' d'Ozon ou Téchiné), flirtant à loisir avec le flou et embellissant chaque nuance de couleur urbaine. En ce sens, A Perfect day n'échappe pas toujours au film d'auteur mondialisé. Si la direction d'acteurs fait des merveilles (Ziad Saad dans son premier rôle et Julia Kassar dans le rôle de la mère sont impeccables), les réalisateurs par ailleurs scénaristes renoncent un peu trop facilement à construire certains personnages (comme l'amie de Malek, qui donne pourtant lieu à une superbe scène de baiser incontinent), pour un peu trop se regarder filmer le vide en guise de figuration de l'absence. On a le sentiment, pour le pire et le meilleur, d'être dans un film flottant à la Hou Hsaio Hsien, au milieu d'une jeunesse un lendemain de gueule de bois qui continue à boire sur les cendres d'un monde ancien qui l'a trop encombrée. Ça pourrait s'appeler Goodbye, Beyrouth, Goodbye, l'au revoir étant ici plus sûr que cette tentative encore fragile de vivre du nouveau, sans trop savoir comment s'y prendre. C'est sans doute ce qui s'appelle un film, ou une ville, en transition.A Perfect Day de Joana Hadjithoma et Khalil Joreige (Fr-Lib, 1h28) avec Ziad Saad, Julia Kassar...