Lord of war

Mardi 11 janvier 2005

Après "Gattaca" et "Simone", Andrew Niccol confirme son statut de franc-tireur avec ce period movie autour d'un trafiquant d'armes cynique, dépeint avec une verve contestataire surprenante.Christophe Chabert

C'est ce qui s'appelle chercher la merde. Avec Lord of war, Andrew Niccol ne s'est pas fait beaucoup d'amis parmi les dirigeants de l'administration américaine, tant le film prend un soin scrupuleux à pointer deux heures durant un des grands scandales contemporains : la guerre comme source de profit n°1 du capitalisme yankee. Le point de vue du film, celui d'un immigré russe à l'intelligence proche de la belette qui trouve dans le trafic d'armes la solution pour se sortir de la mouise et réaliser le rêve américain (belle femme, bel appart, belle bagnole), pourrait passer pour une manière discrète de se dédouaner. Mais son parcours le transforme vite en VRP clandestin d'une politique qui (n')assume (pas) sa profonde immoralité. Tout se joue d'ailleurs quand Yuri double son alter-ego vieillissant : la vieille école qui croyait encore en une "éthique" fondée sur des convictions idéologiques héritées de la guerre froide est avalée toute crue par un jeune loup aux dents longues pour qui l'important est de vendre au plus offrant, quelle que soit sa capacité à massacrer les peuples qu'il opprime.Tony Montana, vendeur d'armesAvec une précision documentaire que l'on n'a plus l'habitude de trouver dans le tout-venant de la production hollywoodienne, Lord of war dresse un portrait peu flatteur de l'histoire américaine récente : exploitation de l'effondrement de la puissance soviétique, neutralité malveillante dans le conflit Iran-Irak, soutien aux dictateurs génocidaires d'Afrique noire, coup de pouce aux régimes totalitaires d'Amérique latine (le héros affirme ne pas avoir vendu d'armes à Ben Laden mais seulement... "parce qu'il signait des chèques en bois" !)... Partout où il y a du sang, il y a des armes américaines qui le font couler. C'est le discours du film, qui pourtant évite de justesse l'écueil du film à thèse. Sa forme vive et dynamique, empruntée aux Affranchis et à Fight Club, ne prend ainsi jamais de recul par rapport au cynisme de son personnage principal (Nicolas Cage n'avait pas été aussi bon depuis Windtalkers) ; l'autre force du film, c'est de tenir jusqu'au bout, coûte que coûte, son pari de subversion. Alors que le flic intègre du film (Ethan Hawke) semble sur le point de faire tomber ce Tony Montana en costard commercial, Niccol referme le piège et donne au film sa pleine signification : il n'y a pas d'impunité sans la caution complaisante d'un état qui, s'il démissionne de son rôle politique, n'en garde pas moins la mainmise sur le devenir de son économie. Et qu'il délègue le sale boulot à un semi-crétin, arriviste et camé, hier ennemi héréditaire, aujourd'hui complice actif de ses exactions, ne change rien à l'affaire. Depuis la saison 2 de 24, on n'avait pas entendu discours aussi virulent sur un écran.Lord of ward'Andrew Niccol (EU, 2h03) avec Nicolas Cage, Jared Leto, Ethan Hawke...