Il avait ses fans depuis son précédent album, l'impressionnant (déjà !) Talkin' Honkey Blues ; avec ce nouvel opus, le Canadien Buck 65 s'apprête à conquérir le monde entier. Considéré comme un chef de file du hip-hop mutant, le voilà qui s'en éloigne pourtant à pas de géant. Les grands raids verbaux qui ont assis sa réputation se font plus rares, le flow s'apaise et se fait plus chantant tandis que les instruments règnent en maître niveau arrangements. Guitares spectaculaires, violons en apesanteur, orgue rêveur : dès Devil's eyes, on sent que cet album-là défie les catégories et s'impose comme un chef-d'œuvre instantané. Buck 65, épaulé en douce par les membres de Tortoise, revisite le rock, réinvente le trip-hop, détourne le jazz et expédie le rap dans les étoiles sans jamais transiger avec cette écriture cinglante qui, sur cet album, vire au manifeste. Le 65isme, avec ses références à peine voilées à la Nouvelle Vague, affirme d'ailleurs un singulier triangle de valeurs : "Sexe, cinéma, politique". Dans ce journal intime des lendemains qui déchantent (le ton est mélancolique, mais le disque ne l'est jamais, au contraire), l'art, les femmes et le monde forment un envoûtant boléro. Buck 65, visiblement emballé par l'accueil qu'on lui a réservé dans l'Hexagone, lui renvoie ainsi l'ascenseur avec trois titres pétris de francophilie, jusqu'à ce morceau de piano-bar enregistré avec un autre Canadien expatrié, Gonzales, qui vient clore un album fulgurant et inépuisable ; plus que le disque de l'été, déjà un des disques de l'année 2005.CC