Camping à la ferme
Après Nationale 7 et Vivre me tue, Jean-Pierre Sinapi s'attaque à la comédie rurale en adaptant un scénario d'Azouz Begag. À la France profonde se substitue rapidement le cinéma lourdeur.Luc Hernandez
Il connaît bien la banlieue, Azouz Begag, depuis Le Gône du Chaâba. En tout cas, il connaît bien l'image qu'on en donne. Il ne manque personne à l'appel dans le scénario qu'il a écrit pour ce film de Jean-Pierre Sinapi : grand dadais à pitbull, musulman pratiquant à la lettre, babilleur le portable collé à l'oreille s'inventant des vies et le flouze qu'il n'a pas... L'effet de groupe fonctionne à plein dans cette virée de mauvais garçons émigrant à la campagne pour accomplir des travaux d'intérêt généraux. La complicité des comédiens, l'authenticité des dialogues fonctionnent plutôt bien, et Roschdy Zem est toujours aussi épatant dans la comédie. Reste la caractérisation des personnages, la façon de montrer les gens de la campagne et d'une façon générale tout ce qui ne vient pas de la banlieue. Et là , les gros sabots d'Azouz viennent sérieusement entamer la sympathie apparente du projet.Haro sur le ministreSi Jean-Pierre Sinapi apporte une touche de tendresse bienvenue à travers le beau personnage du jeune handicapé, on ne peut qu'être consterné devant la façon de ridiculiser les autres villageois. Camping à la ferme est un film qui se passe dans la campagne sans jamais la filmer, où le moindre habitant est con et raciste (pauvre Dominique Pinon), ne sachant même pas ce qu'est un champ mais découvrant grâce à cette bande de jeunes au grand cœur les vertus de l'herbe en milieu urbain. Car, bien sûr, si le villageois est pouilleux, le mec de la cité n'est qu'une victime généreuse qui ne se met en colère, poliment il va de soi, que face à l'injustice qui l'assaille. Mais dans cette caricature où le cynisme se déguise en générosité, le pire est encore à venir : de politique, il est abondamment question dans Camping à la ferme et Azouz Begag se veut sociologue en plus d'être écrivain. La mairesse roule en Audi coupé et méprise sa population pour mieux gérer son image, tandis que les subventions européennes sont attribuées à des agriculteurs feignants qui n'en font strictement rien. Moralité d'Azouz : il vaut mieux les voler pour faire le bien de nos pauvres petits oisillons des cités. Si la caricature est un genre tout à fait estimable, possiblement drôle quand on fait l'effort de ne pas oublier le sens de l'humour au vestiaire, elle peut être consternante quand elle ne sert qu'à stigmatiser un camp au profit d'un autre. Grossir le trait n'empêche en rien de développer des personnages un tant soit peu positifs. Or, la France d'Azouz Begag, c'est le règne du tous pourris, auquel s'ajoute bien sûr les médias (Begag les connaît bien pour les utiliser tous les jours), pas fichus de réaliser un reportage un tant soit peu fidèle à la réalité. De la part d'un nouveau ministre, avoir un tel mépris pour la chose publique et une vision aussi arriérée et superficielle de la France dite profonde, n'augure pas plus de beaux jours pour la politique que cette comédie pas drôle pour le cinéma.Camping à la fermede Jean-Pierre Sinapi (Fr, 1h30) avec Roschdy Zem, Rafik Ben Mebarek...