Une femme coréenne
Travaillant les ruptures (de couples, de style et de genre) avec une certaine maîtrise dans le funambulisme, Im Sang Soo signe un beau film où la vie circule au gré de ses humeurs.Christophe Chabert
Jusqu'à quel degré de foutoir une femme peut-elle aller pour avoir à un orgasme ? On pourrait résumer ainsi l'enjeu souterrain de cette Femme coréenne-là , nouveau petit bijou en provenance de la Corée du Sud. Mais Im Sang Soo n'est pas du genre à livrer aussi vite la clé de son film, et le spectateur passera une bonne partie du métrage à se demander dans quel no man's land existentiel ce marivaudage (très) sexuel va atterrir. Il y a un avocat propre sur lui, qui délaisse sans raison sa danseuse de femme (la sublime Moon So-ri) pour s'envoyer en l'air avec une photographe qui fait l'amour comme un homme ; il y a ses parents, père alcoolique dévoré par une cirrhose et mère attendant impatiente le décès de son époux pour filer le parfait amour avec un vieillard amateur de tango ; son fils adoptif, qui aurait préféré ne jamais se savoir adopté ; et un voisin juste pubère mais déjà très adroit du poignet, qui pousse une gueulante et casse les vitres dès que son paternel lui fait un reproche.Leurs précieux fluides vitauxFace à cette sarabande qui hésite entre bandaison et débandade, on ne sait trop s'il faut rire ou pleurer ; choisissons en définitive de faire les deux pour être raccord avec l'ambitieux mélange des genres opéré par le cinéaste. Observation ironique des démangeaisons qui travaillent à tout âge le bas du ventre et immersion joyeuse dans ce lupanar feutré des lofts chics font ici bon ménage et Im Sang-Soo le filme avec une caméra particulièrement élégante et fluide. Le fluide est d'ailleurs la grande affaire d'Une femme coréenne : sang, sperme, larmes, vomi, sueur viennent squatter à intervalles réguliers l'écran, comme si le metteur en scène, craignant de s'enfermer dans la psychologie, avait voulu matérialiser littéralement les humeurs qui circulent entre ses personnages. "J'ai perdu mon Point G" dit Hojung à son mari ; "C'est ton corps qui a changé" lui répond-il. Drôle d'échange, mais qui fait vite sens : quand celle-ci effectuera une sensuelle série de galipettes nues dans son salon, comme pour s'assurer que tout est encore bien là ; quand elle se retrouvera seule au cinéma avec son amant puceau, jambes croisées pour repousser ses assauts maladroits mais esprit ouvert à cette tentante transgression ; ou enfin quand le film lui-même décide, à l'heure de jeu, de se métamorphoser en tragédie, bousculant d'un insoupçonnable coup de force narratif le cours tranquille de ce chassé-croisé des culs autant que des cœurs. On repense alors à ce charnier découvert en début de film, écho lointain d'une Corée séparée, trop libérée d'un côté, trop corsetée de l'autre. Un corps désarticulé et déboussolé qui tente, comme les personnages du film, de vivre selon ses bons plaisirs (ou ce qu'il en reste).Une femme coréenned'Im Sang Soo (Corée du Sud, 1h47) avec Moon So-Ri, Hwang Jung-Min...