Calvaire

Mercredi 23 mars 2005

Une passion du Christ à la sauce Délivrance, filmée par un jeune cinéaste influencé à la fois par Gaspar Noé et Jérôme Bosch : voici le surprenant premier film de Fabrice du Welz, raide comme un double whisky sec au réveil et drôle comme un dessin de Reiser.CC

Attention, film culte ! On va l'entendre beaucoup celle-là, concernant Calvaire... Mais la perspective d'un sacre par l'underground cinéphilique déviante n'est pas en soi un argument, même si le premier long de Fabrice du Welz a l'étoffe de ses films qui tiennent longtemps l'affiche des séances de minuit. Culte, Calvaire l'est pourtant au sens premier du terme : un film en forme de Passion, fortement imprégné de réminiscences religieuses chrétiennes. Prudence tout de même : Du Welz est du genre iconoclaste et s'il filmait la vie du Pape, il se contenterait de reproduire ses derniers jours à la clinique.Humilié et défoncéLe Christ dans Calvaire ne s'arrête pas à Eboli, mais dans une maison de retraite belge. Son prêche prend la forme d'une chanson d'amour sirupeuse et le seul miracle qu'il accomplit, c'est de rendre sa libido à une vieille fripée. Son chemin de croix ne commence pas au Mont des Oliviers mais dans une auberge isolée en forêt tenue par un quinqua bizarre, soi-disant ancien comique jamais remis du départ de sa femme. Quant au calvaire qu'il va vivre, avec crucifixion, martyre et pardon, il est prétexte à une déferlante de séquences percutantes : fellation bovine ou assaut au fusil de chasse filmé sous la table (avec les impacts sonores qui font trembler le cadre), jusqu'à ce final dans des sables mouvants et émouvants. Calvaire pourrait ainsi glisser lentement d'une ambiance burlesque-glauque à un climat de panique terrorisant, de l'observation comique d'une poignée de bouseux givrés façon Strip-tease à un grand morceau d'expérimentation cinématographique entre Noé et Grandrieux ; Du Welz ne serait alors qu'un petit malin. Mais le film n'oublie jamais d'utiliser toutes les vertus du cinématographe pour créer son monde, oppressant car réaliste et crédible. À commencer par le talent de ses acteurs, qui ont vraiment des personnages à défendre : Berroyer, hilarant avant de devenir monstrueux, Laurent Lucas, parfait en Pascal Sevran humilié et Philippe Nahon, convaincant en trappeur bourru et amoureux. Finalement, plutôt que d'explorer une violence attendue (qui reste relativement hors champ), Du Welz préfère s'aventurer vers d'autres terrains : une scène de danse désarticulée comme du Bela Tarr, un manège de rires grotesques où les visages déformés semblent échappés d'une toile de Jérôme Bosch... Radical et corrosif, Calvaire est un film précieux car pétri avec ces émotions fortes et entières qui ont toujours été le carburant principal du plus grand cinéma. Putain, ça fait du bien !Calvairede Fabrice du Welz (Fr-Belg-Lux, 1h30) avec Jackie Berroyer, Laurent Lucas...