De battre mon coeur s'est arrêté

Mercredi 23 mars 2005

En suivant l'itinéraire d'un homme qui veut bousculer l'atavisme familial et changer de vie, Jacques Audiard signe un quatrième film intense, direct et émouvant.Christophe Chabert

Ne pas perdre de temps. Foncer tête baissée, motivé par ses seules envies, son désir obstiné. Voilà comment fonctionne Tom, marchand de biens aux méthodes brutales, prêt à reprendre le flambeau d'un père décrépi et infantile qu'il ne se résout pas à tuer (symboliquement). Quand on ne paye pas le loyer, Tom répand une armée de rats ; quand on vient squatter des appartements vacants, il convoque ses potes pour casser murs et fenêtres à la barre à mine. Et quand il retrouve le vieil impresario qui, autrefois, fit de feu-sa mère une pianiste virtuose, c'est avec la même rage qu'il se remet à la musique. Face à ce personnage impulsif et imprévisible, Jacques Audiard n'hésite pas : il ne le lâche pas d'une semelle et ne lui laisse aucun instant de repos. Traduction niveau mise en scène : ne jamais lui faire quitter le plan et supprimer tous les temps morts en rentrant dans le vif des scènes. Le cœur du film doit battre à l'unisson de Tom, même si ce cœur-là est du genre à frôler la tachycardie.ÂŒdipe pianisteLe cinéaste pose ainsi dès le pré-générique une note que rien ne doit contrarier et qu'il faudra surtout ne jamais perdre. C'est l'incroyable réussite du film : tout ici transpire d'une évidente confiance dans le cinéma associée à un refus têtu de la psychologie. La mise en scène n'est plus alors que la captation d'une énergie créée par l'écriture, incarnée au tournage, puis finalement réinventée au moment du montage. La note, Romain Duris la tient ainsi de belle manière, soliste formidable dans le rôle de Tom : qu'il drague la femme de son associé, casse la gueule à un mauvais payeur ou s'acharne à rejouer une intro de Bach, c'est avec les mêmes inexplicables saccades de nervosité. Audiard enchaîne ainsi des séquences de plus en plus heurtées, au diapason des états fluctuants de Tom (dragueur ou vengeur, appliqué ou ulcéré), sans véritable progression dramatique, avec comme seul fil la lente métamorphose de son personnage en héros tragique. Tom fait du surplace, ne s'émancipe de personne et le monde qui l'entoure se charge de le lui faire savoir (il se retrouve à veiller son père amoché par des mafieux pendant que ses copains lui reprochent sa désinvolture au travail). Il faudra toute l'ironie d'un épilogue fulgurant pour saisir exactement la portée du propos : une grande illusion intime, tentative pathétique pour échapper à l'atavisme familial qui conduit à se jeter dans les bras d'un œdipe mal réglé. Pas de rédemption ici, juste l'accomplissement d'un destin. Constat cruel d'un film tout simplement magnifique.De battre mon cœur s'est arrêtéde Jacques Audiard (Fr, 1h45) avec Romain Duris, Niels Arestrup...