Mar adentro
Après Les Autres, Alejandro Amenábar s'offre une nouvelle variation sur la vie et la mort à travers le combat du poète tétraplégique Ramon Sampedro pour mourir dans la dignité. Un film à thèse discutable, porté par un magnifique désir de cinéma.Christophe Chabert
En racontant l'histoire vraie du poète Ramon Sampedro, tétraplégique depuis une chute sur des rochers et militant pour le droit à mourir dans la dignité, Alejandro Amenábar s'échappe pour la première fois hors des carcans du film de genre. Pourtant, c'est bien la façon dont il conserve ses décisions de cinéaste qui passionne ici. Il faut cependant dégager le gros problème de Mar adentro : film à thèse ne laissant aucune prise à un quelconque débat, il adhère de la première à la dernière image au discours de Sampedro sur l'euthanasie. Pas de dialectique : le spectateur n'est pas là pour donner son avis mais son consentement, et les quelques personnages chargés d'incarner la contradiction à l'intérieur du film (notamment le prêtre handicapé) sont dégagés sans ménagement après avoir subi les railleries de Sampedro. Cette méthode discutable semble pourtant contredite par les beaux élans qu'Amenábar insuffle à sa mise en scène.Ferme les yeuxDès le plan d'ouverture, le cinéaste propose de mettre Sampedro dans la position du spectateur : le rectangle de l'écran est l'horizon de ses rêves, la possibilité d'échapper à son immobilité. De son lit, le poète regarde un monde soudain empli de beauté, impose son désir et son égoïsme à son entourage, sûr de son bon droit, refusant la pitié et réclamant un amour à mort. D'ailleurs, lourd paradoxe, ce personnage à qui on nous demande sans cesse de nous identifier et envers lequel nous devrions compatir, ne laisse entrer dans son univers que ceux qui le brossent dans le sens du poil. Il faut toute la puissance de Javier Bardem pour faire passer une telle ambivalence : c'est peu dire que l'acteur fait ici une composition monstrueuse, maniant la hargne et le sourire séducteur dans un simple battement de paupières. Même paralysé, Bardem reste un grand acteur physique ; même enlaidi (calvitie et double menton), il garde cette beauté rêche et masculine qui a fait sa réputation. Cette beauté malgré tout, c'est aussi la manière dont Amenábar regarde les femmes du film, marquées par les stigmates de la vie, mais toujours dignes, radieuses, magnifiques. La réussite de Mar adentro tient dans cette croyance dans une existence par et pour le cinéma : après la mort de Sampedro, la vie continue, mais elle redevient terne, grise. Comme dans Tesis, Ouvre les yeux ou Les Autres, l'acceptation de la mort, ce moment où on la regarde en face après l'avoir redoutée, souhaitée ou repoussée, signifie la fin du rêve, et donc la fin du film. Derrière ses allures de mélodrame calibré pour public international, Mar Adentro confirme qu'Amenábar est un auteur, un vrai.Mar adentrod'Alejandro Amenábar (Esp, 2h05) avec Javier Bardem, Belén Rueda...