Nous les vivants
Après ses Chansons du Deuxième étage, Roy Andersson poursuit sa description d'une Suède moribonde et repliée sur elle-même, dans une œuvre où, plus que jamais, l'humour est la politesse du désespoir. François Cau
Plus fort que Stanley Kubrick, Roy Andersson nous livre ici son quatrième long-métrage en 37 ans. Après deux films de fiction (Une histoire d'amour suédoise en 1970 et Giliap en 1976), notre homme s'est tourné vers la publicité, histoire d'engranger des fonds pour créer sa propre structure de production, mais surtout pour parfaire son style inimitable. Andersson a tourné le dos à toute narration conventionnelle, à laquelle il privilégie le principe du marabout-de-ficelle cinématographique, et passe un temps monstrueux (en studio et en post-production) à peaufiner ses plans. En résultent des images d'une puissance picturale infinie, d'une beauté glaçante, où l'irruption d'un comique grotesque bouleverse le regard du spectateur pour mieux l'interroger. L'apogée de cette mise en scène est atteint en 2000 avec Chansons du Deuxième Étage, frère cinématographique baroque de Nous les vivants, qui décrivait avec force humour non-sensique la décrépitude d'une poignée de personnages prisonniers d'une spirale sociale sans fins. Son nouveau film procède à l'identique : une succession de saynètes a priori sans rapports, entre sublime et ridicule volontaire.Les Deschiens suédoisUne femme dépressive quitte son compagnon et son chien parce que «personne ne la comprend». Un vieil homme traîne un chien coincé dans son déambulateur. Une midinette rêve d'une relation avec le rocker qu'elle vénère. Les membres d'un brass band répètent chacun de leur côté, pour le plus grand malheur de leurs compagnes et de leurs voisins. Un psy beaucoup trop âgé explique face caméra l'absurdité de son métier. Un orage énorme éclate. Si la superbe des plans nous donne momentanément le sentiment inverse, le ton est plus "réaliste" que dans Chansons du Deuxième Étage (lorsque le surréalisme pointe, c'est par fines touches oniriques). Roy Andersson ne change pas pour autant son fusil d'épaule - si le travail sur la composition des plans est légèrement moins poussé que dans son précédent film, c'est aussi par désir de coller au plus près de la réalité sociale de ses anti-héros. Lesquels nous apparaissent paradoxalement (vu le soin apporté à l'image) sans fards : mesquins, égoïstes, déprimés, lâches, impuissants, drôles, attachants. Ce dernier aspect est crucial : le réalisateur ne se contente pas de regarder ces gens-là de haut, mais les insère dans un paysage global des plus effrayants. Unique bémol de taille : le rythme bien spécifique du film, composé d'une alternance de plans fixes plus ou moins longs, a tendance à faire décrocher très régulièrement une fois la deuxième moitié du film entamée. Nous les vivants est un film qui se mérite, mais un tel ovni en vaut forcément la peine.Nous les vivants de Roy Andersson (Suède, 1h34) avec Jessica Lundberg, Elisabet Helander...