Gone baby gone
Pour son premier passage derrière la caméra, Ben Affleck adapte Dennis Lehane pour un polar ambitieux, mais en fin de compte plutôt boiteux.CC
Ben Affleck, acteur généralement raillé pour son inexpressivité, a démontré avec son pote Matt Damon qu'ils savaient compenser leurs carences de comédiens par un certain flair. Lancés tous deux par Gus Van Sant avec Will hunting (qu'ils avaient écrits), Affleck et Damon n'ont jamais caché leur désir de s'investir dans des projets ambitieux et personnels. C'est donc Ben Affleck qui aura sauté le pas en premier, avec qui plus est un sujet en or : l'adaptation de Gone baby gone, quatrième volet des aventures de Patrick Kenzie et Angie Gennaro, les deux détectives récurrents de l'auteur Dennis Lehane. Le bouquin est d'ailleurs le meilleur de la série, le plus noir et le plus fort en enjeux moraux.Vaguement mélancoliqueFace à ce matériau, Affleck choisit une certaine modestie qui, dans la première partie du film, fait son petit effet. L'action, ancrée dans un Boston populaire où se côtoient dealers, petits truands et travailleurs pauvres, est prétexte à une peinture réaliste et documentaire qui vient enrichir l'intrigue principale. Une petite fille, Amanda, a mystérieusement disparu pendant que sa mère, camée écervelée, l'a laissée sans surveillance. Pendant que la police piétine, l'oncle et la tante d'Amanda font appel à Kenzie et Gennaro pour enquêter dans les bas-fonds bostoniens à la recherche d'une piste crédible. Ce qui les conduit vers Cheese, trafiquant haïtien à qui la mère d'Amanda a dérobé cent milles de dollars. La force du récit de Lehane est d'être fracturé en deux parties : quand on pense le mystère résolu, il repart dans une direction plus morale et métaphysique, dont le point central serait «jusqu'où a-t-on le droit de contourner la loi pour sauver un enfant ?». Cette fracture est aussi présente dans la mise en scène de Ben Affleck, mais elle ne tourne pas à son avantage : autant le début joue avec une certaine efficacité sur les codes du polar, autant la seconde se perd dans des tentatives esthétiques parfois contradictoires, avant de baisser les bras et de ne filmer que des gens qui expliquent le pourquoi du comment à un spectateur rendu à sa passivité. L'autre faiblesse du film, c'est le propre frère de Ben Affleck, Casey, dans le rôle de Patrick Kenzie. Plutôt pas mal quand il jouait les pages blanches dans Gerry ou un Robert Ford spectral dans le récent Jesse James, il montre ici ses limites face à la profondeur torturée de son personnage. Réduit à son seul regard vague et mélancolique, l'acteur semble presque absent, alors qu'il prend tout le lit de sa partenaire, l'excellente Michelle Monaghan. On ne tirera pas pour autant de conclusions hâtives sur Affleck cinéaste : son pari était audacieux et même si le résultat déçoit, il témoigne d'une envie de cinéma qui pourrait, à l'avenir, porter ses fruits.Gone baby gonede Ben Affleck (ÉU, 1h55) avec Casey Aflleck, Michelle Monaghan, Morgan Freeman...