La Grande Évasive
Avec Caldeira, son premier album solo, Valérie Leulliot s'affranchit en douceur d'Autour de Lucie, formation pionnière de la pop indé française. Mais garde sa tranquille obsession du mouvement perpétuel et de la volatilité des sentiments. Stéphane Duchêne

C'est là , dans le puits indie anglo-saxon (Smiths, Pale Fountains) qu'Autour de Lucie va puiser son inspiration, ses guitares scintillantes ou carillonnantes, cette élégance désinvolte qui, ne tenant pas en place, évoluera par la suite vers un rock plus brut puis une électro flemmarde. Si ses compères, dont le bassiste Fabrice Dumont, futur fondateur de Télépopmusik, partagent avec Valérie la ligne musicale du groupe, c'est elle qui s'attelle à la tâche textuelle, y distillant, presque toujours en Français, de douces obsessions. Le mouvement notamment, qu'il soit réel, fantasmé ou rendu impossible : L'Echappée Belle, Immobile, Faux Mouvement, Autour de Lucie, tels sont les titres des quatre albums du groupe parus entre 1994 et 2004, tous gentiment hantés par ce souci de trouver sa place, de rester, de partir tout en revenant, au gré des chansons : Je reviens, Au large déjà , La grande évasion, Mon toujours partant, Je suis un balancier, Chanson sans issue, Sur tes pas, Nos vies limitrophes, sont autant de chroniques d'allées et venues, de chassés croisés amoureux. Manière de tourner élégamment autour d'un pot sentimental qui refuse toujours, quoi qu'on fasse, de demeurer où on l'a posé. Volcan effondré
À 40 ans, Valérie semble avoir fait le tour de Lucie, sans qu'on sache s'il s'agit d'un constat définitif ou d'une de ces pauses amoureuses que s'octroient les couples victimes de lassitude. Trois ans après le dernier album du groupe, elle se lance, comme d'usage, dans l'aventure en solitaire, cette forme de célibat artistique qui permet, paraît-il, de se retrouver. Mais comme Valérie, habituée à être bien entourée, ne semble pas goûter la solitude, son album solo se façonne en duo. À Sébastien Lafargue, membre d'une mouture tardive d'Autour de Lucie, elle a laissé le soin de tisser une ambiance musicale sobre, tout à la fois acoustique et vaporeuse. Une instrumentation dépouillée de fioriture et d'ornementation, le genre d'artifices dont la véritable élégance se passe sans mal. Une atmosphère qui épouse parfaitement les textes de Valérie. Car cet album, Caldeira (terme portugais évoquant l'effondrement d'un volcan sur lui-même), ne déroge pas à sa quête de mobilité (Un point de chute, Au virage, Un endroit). Tout juste y explore-t-elle aussi dans une forme d'épure les battements de la terre épousant les élans du corps et les saccades du cœur (L'Eau du Gange, les Falaises, Caldeira). Dans le cratère de ce volcan affaissé (métaphore d'une désillusion sentimentale ?) elle laisse aussi entrer la plume d'un autre. Et abandonne le soin de trouver les mots de Mon Homme blessé, à un habitué des plaies ouvertes, Miossec, dont la patte reconnaissable s'adoucit au contact des fumeroles vocales de Valérie. Laquelle se révèle aussi volatile dans la vie que dans ses chansons : toujours en mouvement, jamais là où on l'attend, lorsqu'elle nous laisse un numéro de fixe pour une interview par téléphone, elle s'est absentée à l'heure prévue et se révèlera insaisissable, probablement sur le coup d'une énième échappée belle, en quête, peut-être, de l'accord parfait. Valérie Leulliot
Au Marché Gare, mercredi 9 mai
«Caldeira» (Village Vert / Wagram)