Danse du quotidien
Danse / Sur une scène nue plongée dans la pénombre, s'avancent petits et grands, trapus et maigrichons, jeunes et vieux, pros et amateurs, dans leurs vêtements de tous les jours. Onze personnes au total (dont le chorégraphe Jean-Claude Gallotta lui-même chantant ou s'interrogeant à haute voix sur sa création), qui sont simplement «des gens qui dansent» comme l'indique le titre de la pièce. Des gens comme vous et moi, pris dans le flux de leurs activités quotidiennes, marchant en ville, s'aimant, se déchirant, se touchant ou s'évitant... De ce désordre naît, lentement ou brusquement, un élan, un mouvement, un porté. La danse jaillit du terreau désarticulé du quotidien. Enchâssée à la banalité, elle poursuit le geste trivial, l'accompagne, le libère ou le transforme, sans pour autant l'embellir... Il y a des solos qui fusent au milieu du brouhaha, des duos impromptus alors que d'autres discutent encore, des jetés en trombes. Comme l'herbe, la danse pousse par le milieu : entre deux phrases dites sur scène, entre deux rencontres, entre deux sourires, deux larmes... Elle bascule parfois dans une étrangeté saisissante, d'autres fois dans l'ivresse chorale des corps débridés. Sous nos yeux d'abord désorientés puis très vite admiratifs, Jean-Claude Gallotta bricole sa pièce comme le peintre Cy Twombly compose ses toiles : avec des mots griffonnés ici et là , des gribouillis, des coulures, des saillies violentes, quelques figures impromptues. Le tout, épars et fragile, tient miraculeusement, détaché de toute volonté de cohérence ou d'unité... Dans un entretien filmé, projeté à un moment de la chorégraphie, l'écrivain Henry Miller dit sur son lit de mort qu'il «est vivant jusqu'au bout». Oui : vivre, danser jusqu'au bout, parce que c'est urgent. Jean-Emmanuel Denave