Critique / "Essayer de comprendre la musique, ne pas en être trop proche ni trop éloignée, ne pas danser contre elle", confie Sasha Waltz à propos d'Impromptus (2004) et de Fantasie (création 2006), deux pièces sororales explorant l'univers musical de Franz Schubert. Certains s'étonneront peut-être de ce nouveau tournant opéré par la jeune et charmante chorégraphe berlinoise : après la crudité et la cruauté fiévreuse de ses pièces précédentes (Na Zemlje, Körper et S., noBody...), place à la musique classique, aux sentiments doux-amers, aux fêlures plus discrètes et plus intimes... Sasha Waltz est toujours là où l'on s'y attend le moins, toujours impromptue donc, goûtant aux libertés de l'improvisation et recouvrant récemment son indépendance après avoir co-dirigé sept ans la Schaubühne de Berlin. Sa pièce Impromptus n'est pas pour autant un retour au beau geste chorégraphique ou à quelque romantisme nunuche : l'abstraction, le désenchantement, le chaos, la fragilité de la figure humaine y sont toujours présents ; ils saillent ou sourdent parmi des nappes de silence en suspens comme au gré du phrasé de Schubert (musique jouée live). Les sept danseurs évoluent sur un plateau digne d'une sculpture d'art minimal : deux plans inclinés sur deux niveaux différents, et un panneau vertical tranchant comme une lame de rasoir, suspendu en fond de scène. Deux pentes douces certes, mais indiquant l'abîme, sur lesquelles les interprètes cherchent un équilibre en solos ou en duos, sculptent collectivement d'émouvantes masses organiques, se dispersent en fragments effrénés, ou se rejoignent en une machinerie saccadée, faite de bras-pistons et de bustes-balanciers... La danse de Sasha Waltz naît ainsi d'une faille entre deux plans enchevêtrés, abstraction et humanité des formes, entre le mouvement qui nous invente et celui qu'on invente. Le tout baigné d'une délicatesse, d'une retenue et d'une grâce à donner des frissons... Et émaillé de la beauté particulièrement bouleversante des duos où l'un s'enroule et s'abandonne à l'autre en sensuelles apesanteurs. JEDImpromptus de Sasha Waltz Les 15 et 17 février à l'Opéra.