Super ordinaire

Mercredi 16 février 2005

Musique / Il est moche, con et sans talent. Pourtant, il vend des milliers de disques et provoque des réactions extrêmes pendant ses concerts ; en quelques mois, Didier Super est devenu une énigme discographique et un symbole glorieux de résistance au conformisme.CC

Pendant que certains condamnent quelques pirates musicaux, tandis que d'autres se mobilisent pour leur venir en aide, Didier Super continue une tournée au long cours qui le voit alterner salles des fêtes dans des bleds paumés et salles moyennes dans les plus grandes agglomérations françaises. Aucun rapport ? Ben si, justement, pleins de rapport... Comment expliquer qu'à l'heure où le net permet à tout un chacun de se procurer vite fait bien fait les plus grands chefs-d'œuvre de l'histoire musicale, à l'heure où les maisons de disque crient "famine !" puis "vengeance !" quant aux chutes spectaculaires de leurs ventes, un pauvre gugusse lillois armé de sa guitare, de son synthé et de quelques chansons entre sagesse popu et provoc' pochetronnée fasse tout simplement un carton ? De quoi mettre en rogne plus d'un directeur marketing ! Sans véritable promo mais avec un bouche-à-oreille qui l'a immédiatement transformé en "artiste" culte, Didier Super doit actuellement être un des plus gros vendeurs indé en France ; son album, disponible pour la somme modique de 9 euros (ça vaut guère plus...), s'était déjà écoulé à plus de 5000 exemplaires en octobre ; les deux concerts qu'il a donnés au Bistroy ont quasiment viré à l'émeute, blindés à craquer par des fans chauffés à blanc. De quoi provoquer de l'eczéma chez n'importe quel musicien débutant s'appliquant à reproduire des chansons chiadées devant un public clairsemé !SupermasoDidier Super, ce serait donc le triomphe du mauvais goût et du deuxième degré, quelque chose comme un Patrick Sébastien qui n'aurait vraiment pas honte d'incarner l'horreur de cette France rassie, raciste et misogyne, et surtout qui le ferait de son plein gré. Les ponts sont faciles avec l'humour grolandais et ses reportages camescopés imitant les infos populistes d'un Jean-Pierre Pernaud, mais, différence de taille, Didier Super et ses refrains bêtes et méchants ne défendent rien, ni esthétique musicale, ni idéologie, ni même leur propre peau, régulièrement tannée par leur auteur en personne au fil des interludes. La posture, franchement nihiliste, consiste à dénigrer tout et son contraire et en fin de compte, dans l'esprit d'autodérision généralisée, à se dénigrer soi-même. Masochisme absolu de l'auditeur qui restera face à ces beuglements dégénérés quarante minutes durant, régression fatale du spectateur qui ira reprendre en chœur "Y en a des biens" ou "Arrête de t'la péter"... Un slogan célèbre des années 80 disait "Buvez, éliminez". Chanteur du bras d'honneur à la soupe tiède de la pensée consensuelle, Didier Super en invente un autre : "Chantez, évacuez !".Didier Superau Rail Théâtre le 10 février (avec Sono 4000)