Expo / Le MAC présente une ample rétrospective, et la galerie Métropolis une série de gouaches inédites, du peintre Marc Desgrandchamps. Double et puissante invitation à l'errance du regard hors de ses gonds.Jean-Emmanuel Denave
Première salle du musée et l'on débarque d'emblée sur la plage d'un imposant triptyque. Au centre, un magma gris-vert sur lequel sont accrochées deux serviettes éponge. À gauche, une femme en maillot avec un bras tronqué. À droite, un homme de dos, nu, et sur le sable un ballon de foot distordu ressemblant à un dé fondu par le hasard et le soleil. Les deux personnages ont une chair grisâtre, fuligineuse, diaphane, comme transformée par l'huile diluée en une fumée fantomatique. Dans la même salle, on découvre d'autres tableaux sur le motif balnéaire, et toujours ces corps évanescents, ces objets pliés ou tordus selon une géométrie inconnue, ces coulures de peinture abondantes, sur fond de paysages familiers. L'exposition du MAC se poursuit par une succession de salles à l'univers tonal et topologique homogène, chacune invitant à une expérience sensorielle à la fois proche et singulière. Ce sont des terrasses parmi les montagnes, des jardins, des campings ou des clairières, au sein desquels déambulent ou se figent en des poses sculpturales, femmes, hommes et enfants à chair translucide, aux corps tronqués, sans visage ni identité déterminée. Ce sont des plans superposés par transparence, des perspectives court-circuitées, des décadrages, l'étiolement de la matière, sa dilution lente, la fatigue des formes...Sur la brècheLes tableaux de Desgrandchamps ne sont pas d'un accès facile : ils exigent moins une culture artistique que du temps et un peu de silence, de solitude. Le temps de se laisser imprégner par leur durée lente, le temps que s'immiscent dans notre système sensible leurs formes incertaines, leurs figures évidées, inquiétantes, errant entre le tableau et notre regard. Aura tremblante d'une peinture flirtant avec le vide, toujours menacée de disparition, qui prend peu à peu une sorte d'évidence, de puissance sourde, entêtante, angoissante aussi. À force de regard, jusqu'à épuisement, les êtres et les choses deviennent chez Desgrandchamps inéluctablement incertains. La transparence et l'aspect fantomatique des peintures semblent paradoxalement l'aboutissement d'une condensation d'images et d'une intensification du regard. L'artiste travaille d'ailleurs à partir de photographies personnelles, de cartes postales, de coupures de presse, et confie être affecté par le flux des images contemporaines. Une des gouaches présentées à Métropolis, par exemple, a pour origine un cliché de la prise d'otages de Beslan. Sur le plan si mince des toiles viennent se projeter et se tresser en échos impalpables des images aux origines "physiques" et temporelles diverses, tout un cheminement chaotique et musical du regard. La surface, la peau sont ici ce qu'il y a de plus profond. Marc DesgrandchampsAu Musée d'art contemporain jusqu'au 19 décembreÀ la galerie Métropolis jusqu'au 15 février.