Sous le vernis officiel

par
Mercredi 13 février 2008

Expo / En Socrate du XXIe siècle, l'artiste Mihael Milunovic renverse, brouille nos valeurs pour mieux en montrer le grotesque ou essayer de voir le monde autrement. Jean-Emmanuel Denave

Photo : Mihael Milunovic, FAR-St-E-002, 2005

Mihael Milunovic (né en 1967 à Belgrade, il vit aujourd'hui en France) est un brouilleur de signes et de symboles comme il est des systèmes militaires de brouillage d'ondes adverses. Déconcertantes au premier abord, ses œuvres remettent en perspective, soulignent, découpent, réinterprètent la trop lisse et normative communication des media, de la publicité, du marché, des idéologies politiques. Il met le doigt là où ça fait mal, fouille les blessures du monde contemporain qui nous paraissent en général si éloignées (dans les pays pauvres), normales (nos valeurs morales sont les meilleures), banales (ça se passe à la télé et donc de commentaires). Il réintroduit du politique, du contexte religieux, du sacré, de l'humain là où l'on s'efforce à tout prix de les refouler... Son exposition s'ouvre emblématiquement sur un «Fusil reliquaire», vrai fusil mitrailleur en acier blanc sous vitrine, chargé de balles contenant des... reliques ! «C'est une arme absolue, commente l'artiste, car elle est à la fois fonctionnelle et religieuse. C'est une arme pour une guerre avec zéro mort où l'on gagne en convertissant l'adversaire. Je reprends d'ailleurs ici une ancienne fonction des reliques, et comme souvent dans mon travail, je mêle à la fois le contemporain et ses racines historiques en y ajoutant un aspect critique». Le ridicule tueOn découvre ensuite un long tapis rouge de descente d'avion officiel, bordé d'un alignement de drapeaux imaginaires mais respectant les règles du genre (la vexillologie, «science» des drapeaux !). Encore une fois, l'œuvre n'est pas esthétique ou vouée à être contemplée pour sa seule forme, mais agit sur le spectateur comme un gros point d'interrogation, ironique souvent, posé sur son univers coutumier : oui, au XXIe siècle, nous sommes toujours et plus que jamais dans une société faite de rites, de symboles précis et efficaces, qu'il n'est pas sans intérêt de pouvoir décrypter (quand cela est encore possible rappelle Milunovic tant le vocabulaire militaire ou économique est aujourd'hui incompréhensible pour le profane). Plus loin, des caissons lumineux ronds représentent des écussons militaires loufoques destinés à une grande armée future où tous les adversaires seraient intégrés. «J'utilise des formats standardisés par la publicité et la télévision, reconnus immédiatement par l'œil contemporain, et j'y inscris des messages plus ou moins subversifs, inattendus, souvent à la limite entre l'effrayant et le dérisoire». Quant au char rouge trônant comme un gros jouet sur son socle incliné, il a été inspiré à l'artiste par une photographie montrant l'armée allemande qui effectuait en 1925 ses manœuvres avec de dérisoires tanks en bois et toile. «Jouer avec des machines ridicules peut s'avérer un vrai danger, de même pour les personnes ridicules». Et c'est vrai qu'en y réfléchissant les exemples ne manquent pas : bon nombre d'histrions sont parvenus au pouvoir, et d'autres ne se gênent pas à évoquer des slogans aussi infantiles que "la guerre des étoiles" ou "la lutte du bien contre le mal"... Oui, le ridicule tue.Mihael Milunovic, "Charge creuse" À la Galerie Georges Verney-CarronJusqu'au 29 mars