Vers, verres, ver

Photo : © C. Ablain
Spectacle / Une table en devant de scène, deux types picolent. Une fin de soirée entre mecs. Sous l'effet de l'alcool ils récitent quelques vers, se remémorent des souvenirs un peu humiliants, commentent leur soûlographie à croissance rapide ou lâchent quelques blagues scato sur un ballet de danse qui passe à la télévision... Ce que l'on ne sait pas encore, c'est que cette suite un peu hasardeuse de paroles constitue une séquence, une sorte de ritournelle, une ligne de basse (Basso Ostinato, titre musical de la chorégraphie) qui inlassablement va se répéter, et aussi, dans le même temps, s'effriter, se fendiller, avec des mots qui vont se perdre de plus en plus, ou bien achopper, s'intervertir, se fourvoyer, s'épuiser....Mais nous sommes encore au début de la pièce quand un troisième larron arrive, s'incruste et se met à danser. Premier accroc du corps parmi les mots. La ritournelle reprend, de plus en plus dépenaillée, entrecoupée de haut-le-cœur dansés, de spasmes, de gestes absurdes et drôles.
Alors que le langage déraille et s'étiole parmi des vapeurs d'alcool, la danse s'immisce dans les fissures, se faufile fugacement ou plus longuement parmi les interstices.
Avec des séries grotesques ou tragiques de chutes, des grands cris muets à la Munch, des déplacements réduisant les trois personnages à la condition de vers de terre.
Basso Ostinato est à la fois un parcours à la Sisyphe et une spirale qui s'enfonce peu à peu dans les débris des mots et de la culture, des corps et de leurs organes...
«Y forer des trous, l'un après l'autre, jusqu'au moment où ce qui est tapi derrière [le langage], que ce soit quelque chose ou rien du tout, se mette à suinter à travers», écrivait Beckett. Jean-Emmanuel DenaveBasso Ostinato de Caterina Sagna. Au Toboggan à Décines. Mercredi 6 février