Les grands détournements

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Mercredi 17 janvier 2007

Zoom / Hors compétition cette année, les curieux pourront aller voir New Délire, le re-montage et re-doublage d'un film Bollywood coordonné par Eric Leroch. Retour sur cette discipline comique bien à part. En 1965, le président d'American International Pictures se trouve bien emmerdé après avoir acheté le film japonais Key for Keys, œuvre d'espionnage kitschoune aux limites du compréhensible. Jusqu'à ce qu'il ait l'idée d'en refaire le doublage pour en faire une comédie non-sensique, genre alors très en vogue. Il fait appel à un jeune scénariste New Yorkais dénommé Woody Allen, qui transforme cette chasse au microfilm en quête, absurde à souhait, d'une recette de salade aux œufs, et l'intitule What's up, Tiger Lily ? (référence à son précédent succès, What's New, Pussycat ?). La technique sera épisodiquement réutilisée par des cinéastes US persuadés de l'avoir inventée : Carl Reiner avec le sympathique Les cadavres ne portent pas de costard (qui plonge Steve Martin au beau milieu d'une flopée de vieux films noirs), ou plus récemment Steve Oedekerk (sélectionné hors compèt' à l'Alpe d'Huez cette année avec le mollasson La Ferme en Folie) avec son paroxystique Kung Pow, où il s'insérait au beau milieu d'un film de kung-fu passable. Côté français, il faut remonter au début des années 70 pour trouver une trace de ce procédé appliqué aux longs métrages. C'est le situationniste René Vienet qui applique le principe du détournement à des œuvres asiatiques ; il dénature ainsi un film de kung-fu (rebaptisé La dialectique peut-elle casser des briques ?) et un film érotique (Les Filles de Kamaré), le tout avec un ton militant à l'extrême, afin d'appuyer le discours de son courant de pensée. Voir des combattants ou de frêles jeunes filles dénudées tchatcher situationnisme fait sourire, mais force est d'avouer que les deux films ont assez mal vieilli (les blagues pédophiles de La dialectique... sont par exemple carrément "gênantes"). Puis il faudra attendre le début des années 90 et les initiatives désormais cultes de Dominique Mézerette et Michel Hazanavicius pour que ce genre s'impose dans l'inconscient collectif français. Après s'être rôdé sur le court Derrick contre Superman (habile mélange de moult séries sur une trame débile), le duo livre La Classe Américaine, profitant de la cession gratuite à Canal + - pour un mois seulement - du catalogue Warner. Un hommage délirant (mais à la cinéphile exaltée) à Citizen Kane, voyant Dustin Hoffman et Robert Redford enquêter sur la mort de George Abitbol, l'homme le plus classe du monde. Le film n'est passé qu'une fois (en 1993), ne sera rediffusé ou réédité pour cette sempiternelle question de droits, mais les vieilles copies VHS de l'époque ont permis au film de survivre au passage du temps, de connaître une seconde vie sur la toile, puis d'accéder au statut légitime de film culte qui lui était destiné... Eric Leroch fera-t-il aussi fort ? D'après les images, rien n'est moins sûr. FC