Tout sur sa mère

Mercredi 6 avril 2005

Théâtre / C'est avec une impatience savamment contenue qu'on attend un obus dans le cœur, nouvelle adaptation de la prose de Wajdi Mouawad, après le succès artistique d'Incendies.FC

Walid est réveillé en pleine nuit. Son grand frère lui intime l'ordre de se rendre de toute urgence à l'hôpital, où leur mère est sur le point de rendre l'âme après des années de souffrance. Le trajet, l'arrivée puis l'horrible attente sont l'occasion pour le jeune homme, «frère jumeau d'une guerre civile qui a ravagé le pays de ma naissance», de faire le point sur sa courte mais chaotique existence, de l'ambivalence des sentiments ressentis envers sa famille jusqu'à ses souvenirs d'enfance traumatisants. Le texte de Wajdi Mouawad, peut-être son plus troublant en terme d'exploration autobiographique, est un long monologue aux tonalités violemment amères, l'extrait remanié d'un ouvrage introspectif sur lequel l'auteur planche encore. Christian Gangneron, le metteur en scène, s'est surtout fait connaître pour ses opéras, mais affirme un penchant avéré pour les formes plus minimales, pour ne pas dire intimes. Le principal défi étant de donner chair, via l'acteur unique Olivier Constant, à toute la rage distillée à longueur de phrases par le personnage principal. Vivre et laisser mourirEntrelac de spontanéité et de tournures stylistiques maîtrisées, le texte frappe par son agressivité. La gageure repose sur l'interprétation du matériau de base, dont la violence du propos réside dans une permanente ironie à froid, d'autant plus équivoque qu'elle nous est balancée par un "gamin" de dix-neuf ans, offrant au spectateur ses visions hautement désabusées. Pour répondre à un semblant de bienséance, l'auteur délivrera un flash-back partiellement explicatif, auquel le public pourra se raccrocher pour justifier ces débordements acerbes. Les plus avertis, avisés des origines libanaises de Wajdi Mouawad, seront ainsi à même d'inscrire le récit dans un contexte précis. Mais l'écriture d'Un obus dans le cœur ne cède pas vraiment à cette tentation rationnalisante, les données biographiques du texte s'avérant beaucoup plus marquantes lorsque l'auteur aborde les relations entre Walid et sa mère, dont le spectre de la mort annoncée l'a peu à peu éloigné. Le point d'orgue étant les scènes se déroulant dans l'enceinte de la chambre d'hôpital, baignant d'une atmosphère déjà funeste. Si ses diverses mises en abimes ont leur pertinence, la pièce gagne toute sa puissance cathartique lorsque Walid se confronte directement à ses démons.Un obus dans le cœurde Wajdi Mouawad, mise en scène de Christian Gangneronles 5 et 6 avril à 20hà l'Hexagone de Meylan