Lola en suspens
La reprise de Lola Montès de Max Ophuls dans une version inédite et restaurée permet de redécouvrir ce film étrange et somptueux, en balance entre deux âges du cinéma.Christophe Chabert

L'élégance d'une caméra toujours en mouvement, qui se promène au milieu d'un faste baroque en s'accrochant aux décors avant d'enfouir les personnages sous des couches de paravents et de grilles, contraste avec la cruauté du propos. Dès la première apparition de Peter Ustinov, venu présenter à Lola son projet de numéro retraçant son existence, le dialogue se fait coupant, dur, cynique. Cette danseuse qu'il juge médiocre n'est pour lui qu'un objet romanesque à forte valeur ajoutée. Mais la confrontation entre ces deux personnages est aussi pour Ophuls la rencontre houleuse et décisive entre deux âges du cinéma, l'un à son crépuscule et l'autre à son aurore : Ustinov, dont chaque réplique est ponctuée d'un aparté dit avec naturel et détachement, est cet acteur moderne dont l'objectif est de muséifier définitivement l'actrice patrimoniale qu'est devenue Martine Carol. Raide et pâle comme une poupée de porcelaine, Carol n'est déjà plus qu'un fantôme grimaçant du cinéma français commercial. Tout Lola Montès tend vers sa stupéfiante image finale : une foule qui fait la queue pour lui toucher la main en échange d'un dollar. Elle dit à chacun «Merci» ; mais ces «Merci» ont déjà le goût amer des «Au revoir».Lola Montès
de Max Ophuls (1955, Fr, 1h50) avec Martine Carol, Peter Ustinov...