Hawaii, notice d’état
En tournant le dos à l’aventure Chokebore, le troublant Troy Von Balthazar s’est construit un univers musical qui lui correspond parfaitement : foutraque, fragile, mélancolique à souhait, mais porté par une énergie créatrice s’épanchant fabuleusement sur scène. François Cau

Cette inclination pour la sécheresse affective imprime graduellement sa marque sur les productions discographiques de Chokebore, annonce en filigrane le tournant que prendra la carrière de Troy dans un futur pas si éloigné. Au bout de dix années passées sur les routes, dans un van avec les mêmes personnes, il ne souhaite rien tant que se retrouver, passer du temps seul. D’où sa volonté de fuite en avant. Chokebore est devenu un groupe respecté, sur le point de flirter avec une notoriété à la hauteur de ses qualités musicales. Mais c’est pile à ce moment clé que Troy se fait la malle, dans le dénuement quasi-total, avec en ligne de mire implicite cette peur apoplectique de plaire - qui se ressent dans ses textes, dans la façon qu’il a de parler de sa vie sentimentale, dans le rapport complexe, à la fois distant et connivent, qu’il instaure avec le public lors de ses performances scéniques. Il squatte chez des amis et des fans à droite à gauche, entre son Honolulu natale, Los Angeles, Paris, Berlin, écrit et compose pendant ses incessants voyages en train, ne garde pour seule attache que celle de sa guitare. Lorsque le label français Olympic Disk lui offre l’occasion d’enregistrer son premier album solo éponyme, il saute dessus à pieds joints. En trois semaines intensives, il s’occupe de toutes les tâches de la production, court dans tous les sens, privilégie les instruments et accessoires vintage, déglingués, à même de faire sortir les sonorités décalées qui lui trottent dans la tête avec insistance. Spleen est idéal
Le résultat, sorti en 2005, prend tout le monde par surprise. Une vraie perle pop-rock, dont le côté lo-fi n’est jamais assumé de façon purement poseuse, mais bien dans un souci d’expérimentation intime toujours convaincant. Qu’il donne dans la comptine élégiaque (I block the sunlight out), la ritournelle irrésistiblement amère (Magnified) ou même le bordel sonore le plus décomplexé (l’incroyable Bad Controller), Troy Von Balthazar compose un univers mental des plus cohérents, soutenu par ses envolées vocales sur la corde raide. Sur scène, il fait vivre ses morceaux à la façon d’un Joseph Arthur ou d’un Matt Elliott : seul, flanqué de sa guitare, de samples, de boucles sur lesquelles il rebondit en permanence, instaurant un rapport de timidité immédiatement séductrice avec le public. Récemment, Troy a confirmé ce saisissant coup d’essai avec TVB 3 EP, son nouvel album. Sur scène, il se fait occasionnellement accompagner d’une guitariste et d’un batteur au diapason de ses compos. Comme s’il cherchait subitement à sortir des affres dévorantes de la solitude. Ses désirs inconscients sont des ordres : on va aller massivement aller l’applaudir à EVE. Troy Von Balthazar / Monster
Mercredi 15 avril à 20h30, à EVE