Le Temps qu'il reste
Chronique intime et historique en quatre actes, le nouveau film d'Elia Suleiman raconte avec une maîtrise parfaite de la tragi-comédie la vie presque quotidienne d'une famille arabe dans l'état d'Israël. Aussi drôle que bouleversant.Christophe Chabert

On pense connaître le procédé, puisque Suleiman l'utilisait déjà dans Intervention divine : une narration en vignettes juxtaposées qui tracent avec humour le portrait kaléidoscopique d'une vie absurde. Mais Le Temps qu'il reste va bien plus loin, et c'est effectivement une question de temps : car au surplace des existences plombées par la guerre et les humiliations quotidiennes, le cinéaste répond par d'incroyables ellipses recouvrant un événement traumatisant de l'histoire palestinienne. Cette manière de lier ensemble sans les superposer souvenirs personnels et mémoire collective est évidemment une des grandes forces du film. Mais c'est surtout l'invention cinématographique à l'œuvre dans chaque plan qui impressionne : travaillant à la manière d'un dessinateur de BD (on pense beaucoup à Sempé), Suleiman cherche l'expressivité immédiate grâce à une économie d'images et de mots. La fin du film, où ses «cases» atteignent une ampleur burlesque irrésistible (un saut à la perche aussi épique que politique, une étrange communion entre juifs et arabes autour d'un night club), laisse pourtant le sentiment diffus d'un désespoir total. Et on sort de ce film essentiel avec la même interrogation que le chauffeur au début : «On est où, là ?».
CC Le Temps qu'il reste
De et avec Elia Suleiman (Palestine-Fr, 1h45) avec Saleh Bakri...