L'Être et le Néant
L'Île solaire, inspirée du roman de Michel Tournier Vendredi ou les limbes du Pacifique, n'est rien moins qu'hypnotique. La création bénéficie d'une mise en scène résolument contemporaine, acceptant toute matière susceptible de dire le sens de l'histoire, d'exprimer le propos autrement que par les seuls mots. Un écran transparent - drap objet de toutes les projections - fait de la scène l'incarnation du cocon insulaire du roman en abritant le pianiste Wilhem Latchoumia, jeune Lyonnais virtuose à l'élégance certaine, qui affiche une moue légèrement boudeuse seyant parfaitement à la mélancolie du propos. Sa présence, fantomatique, est baignée par un flot ininterrompu d'images et d'extraits du livre, dans une mimesis parfaite du Robinson du roman. Ces images, en suspension mais omniprésentes, d'une beauté formelle et poétique propres à donner à voir autant qu'à créer de l'émotion par l'imagination du spectateur, nous affirment que rien de notre civilisation ne survit à la conscience solaire et totale de Robinson, homme hors le monde. La solitude et la perte du langage dénuent la société, idée vaporeuse, de tout réel sens, et la destruction est le dernier élan restant à ce Robinson esseulé sur «cette croûte purulente dont il est la conscience souffrante». L'aspect charnel dépasse l'abstraction, le désir de l'homme transperce l'écran dans les effusions de couleurs vives, dans l'agitation des éléments et le chaos maîtrisé de la musique. Magie d'une partition flamboyante dans sa pesanteur, cohérence sans fausse note d'une mise en scène audacieuse : Samuel Sighicelli s'impose comme un compositeur à surveiller de près. Laetitia Giry
L'Île solaireAu Théâtre des Célestins, vendredi 5 et samedi 6 mars.