Frissons taxidermiques
Les « Morceaux choisis » de l'artiste Delphine Gigoux-Martin ne peuvent laisser indifférent. Sans être aussi sensibles que nous avons pu l'être - nous sommes de ceux qui ne font pas les malins à la vue d'animaux empaillés - chacun devrait être interpellé par les installations qui ont envahi les grottes du CAB. Dessins animés en noir et blanc projetés aux murs et ombres portées des animaux façonnent un fantasme en deux dimensions qui n'est autre que la réalité pure de l'œuvre. Notre propre dimension se mue quant à elle en l'échappatoire de l'animal empaillé fuyant le monde auquel son ombre appartient encore : ici une biche échappe au cerf en rut, là des oies volent en tournant sur elles-mêmes grâce à l'aide précieuse des tournebroches qui les empalent, répondant à la pluie de leurs homologues 2D mourantes projetée autour d'elles. Les corps morts font ainsi l'objet d'une mise en scène au cœur de laquelle ils tiennent le rôle d'une matérialité désœuvrée, libérée de son prédateur mais s'écroulant sur le sol trop dur de la réalité. La brutalité du tout atteint son paroxysme dans la dernière salle, théâtre de la débâcle d'une meute de chiens (en mousse, soyez rassurés) disposés à hauteur de visage et s'imposant ainsi frontalement dans toute leur horreur, fuyant en direction de la ville pour avoir été honteusement battus par des « lapins boxeurs »... Dans le dédale de cet inquiétant et complexe imaginaire, on craint l'odeur, la vie, mais c'est bien l'image seule qui déploie l'énergie du mouvement, les « sculptures » restant figées dans l'inertie du désespoir teinté de victoire.
Laetitia GiryDelphine Gigoux-Martin
Jusqu'au 13 juin, au Centre d'Art Bastille