Quelle époque épique
«Silence». Face à la mort qui vient le chercher, Alexandre le Grand ne sait, dans un premier temps, que prononcer le mot «silence». Voilà une bonne introduction de spectacle qui pourrait faire que tout s'arrête là . Ce serait un peu court ! Mais de silence il n'y aura pas. La percussionniste Yi-Ping Yang s'attelle à créer une bande son en fond de scène et, au devant, Yannick Laurent incarne le plus grand conquérant de l'histoire en se glissant avec délectation dans la peau de ce héros. Par un travail de diction remarquable et des changements de rythmes opportuns, il embarque littéralement le spectateur dans sa chevauchée fantastique au cœur de la Perse achéménide au quatrième siècle avant Jésus-Christ. Ce n'est pas la mise en scène trop effacée de Gilles Chavassieux qui porte le comédien mais bien plutôt le texte. Même lorsqu'il écrit du théâtre comme ici, Laurent Gaudé, reste le romancier qui a été couronné du prix Goncourt en 2004 avec "Le Soleil des Scorta". Pas de dialogue, pas de joutes verbales mais un récit épique très affuté parfaitement équilibré. Au-delà de sa technique d'écriture bien huilée, Laurent Gaudé accorde une immense valeur à ses personnages historiques, il croit en leur humanité. Alexandre n'est au commencement qu'un sale gosse qui ne pense qu'à devenir adulte pour être enfin guerrier et conquérir des terres. Gaudé le magnifie pourtant en relatant ses combats avec son ennemi Darius comme il écrirait une histoire d'amour. Il n'est question que de désir, de regards qui se croisent et de corps qui se bousculent. Entre Babylone et Samarkande, sur les routes menant de la Grèce à l'Inde, ce spectacle prouve que les épopées n'ont rien perdu de leur pouvoir de séduction pour peu que des artistes sachent encore nous les raconter. Nadja Pobel