Never let me go
Adaptation pertinente d'un roman de Kazuo Ishiguro par Alex Garland au scénario et Mark Romanek à la mise en scène, cette fable glaçante et complexe sur l'aliénation à la norme invente une science-fiction au passé qui, malgré ses tics, frappe par son originalité.Christophe Chabert

Dans le roman de Kazuo Ishiguro, tout était explicité parfois lourdement, mais quelque chose frappait déjà : la résignation des enfants face à leur disparition programmée, leur absence de révolte entretenue par les mensonges subtils distillés durant leurs années d'apprentissage. La qualité de l'adaptation d'Alex Garland, lui aussi romancier de La Plage et ancien complice de Danny Boyle, est de distiller les informations au compte-goutte, créant de la science-fiction avec un minimum de moyens. Surtout, Garland a renforcé ce qui n'était qu'une piste du roman, et qui est le grand thème de son œuvre : le sacrifice de l'individu au profit d'un collectif abstrait et normatif. La complexité de Never let me go, qui le conduit vers des abîmes de pessimisme, tient à cette réflexion glaçante et absolument d'actualité : la société peut-elle créer des êtres consommables et faire comme s'ils n'avaient pas de libre-arbitre ? Certes, Romanek n'évite pas l'écueil qui guette le cinéma indépendant anglo-saxon (un excès de sérieux, qui se traduit par une musique mélodramatique et des acteurs qu'on pousse à jouer la larme-à -l'œil). Mais le film ne s'évacue pas facilement : il ne ressemble à aucun autre, et la noirceur sans compromis de son sujet en fait une douche glacée versée sur la conscience endormie du spectateur.Never let me go
De Mark Romanek (Ang-ÉU, 1h45) avec Carey Mulligan, Keira Knightley, Andrew Garfield...