Langue pendue
Auteur parmi les plus fascinants et stimulants de la littérature américaine contemporaine, Percival Everett sera de passage à Grenoble cette semaine pour causer notamment de son dernier ouvrage, Pas Sidney Poitier. L'événement est de taille. François Cau

Car oui, Percival Everett est noir. Mais il refuse de se rattacher à une quelconque "littérature noire", concept aussi abstrait et vaseux à son sens qu'une "littérature blanche". Evoqué via un habile tour de passe-passe narratif dans Glyphe, cette question sera au cœur de son chef-d'œuvre, l'époustouflant Effacement. Un auteur érudit (qui lui ressemble beaucoup), accablé par un contexte familial plutôt hardcore et une carrière en dent de scie, s'emporte contre la promo faite à une jeune auteure noire misérabiliste (on devine la référence à Push, de Sapphire, adapté au cinéma avec l'horrible Precious) et écrit, sur un coup de tête hargneux, une parodie cinglante, volontairement vulgaire et outrancière, qui occupera la partie centrale du roman d'Everett. Intitulé Putain, le livre remportera évidemment un énorme succès, quitte à faire sombrer son auteur dans la folie. Au-delà de son dispositif (le roman dans le roman) certes pas vraiment inédit mais exécuté avec une audace et une rage peu communes, Effacement est une œuvre profonde, sensible - son amertume manifeste ne parasite jamais un traitement pertinent de la question communautaire, dont Percival Everett démontre avec éloquence les limites intrinsèques. Satires acides
En dépit de touches d'humour bienvenues, Effacement ne laisse pas deviner à quel point l'auteur est à l'aise dans la farce, ce que démontrent avec brio Désert Américain et Glyphe. Respectivement l'épopée d'un récent décapité qui se relève dans son cercueil pour devenir une sorte de messie, et celle d'un bébé génial doté d'un QI de 500 (il traite notamment son père de pseudo-structuraliste) amené à passer de kidnappeurs en kidnappeurs, ces deux romans accumulent les péripéties improbables pour mieux faire ressortir les interrogations existentielles de leurs protagonistes. Plus linéaires et pétris de noirceur, Blessés et Le supplice de l'eau auscultent quant à eux une Amérique malade, amenée à faire revivre à ses concitoyens égarés les poids de son Histoire passée (les persécutions des Indiens et des homos dans Blessés) et actuelle (la torture dans Le supplice de l'eau). A la croisée de toutes ces facettes, Pas Sidney Poitier nous décrit le chemin de croix d'un individu entretenant une grande ressemblance avec le fameux acteur, et amené malgré lui à revivre des scènes emblématiques de sa filmographie. Le ton est au décalage comique toujours plus forcené, le cauchemar des apparences et de la valse des étiquettes sociales s'y fait encore plus prégnant, la confusion du héros renvoie à l'épilogue trouble d'Effacement, et cerise sur le gâteau, l'auteur se met lui-même en scène pour la première fois, dans des dialogues hilarants avec son personnage. Percival Everett ajoute une contribution de choix à l'édification d'une œuvre unique et indispensable, à laquelle il sera de bon ton de rendre l'hommage qui lui est dû lors de sa venue à Grenoble. Percival Everett
Vendredi 27 mai à 18h30, à la Bibliothèque Centre Ville