Un coup à dix bandes

Jeudi 5 avril 2012

Photo : DR

Raymond Queneau s'amuse avec la langue, inspiré par le livre d'images en trois parties Les Cent Mille Métamorphoses de Monsieur Clown, paru en 1900. Dans cet ouvrage, des personnages peuvent allégrement changer de tête, de buste ou de jambes selon que le lecteur tourne une des trois parties de l'image. Ce pêle-mêle à deux découpes donne des idées à Queneau qui surenchérit en mots : il crée Cent mille milliards de poèmes en 1961.

Cet ouvrage est composé de dix sonnets en alexandrins présentés sous forme de structure combinatoire (autant de bandelettes qu'il y a de vers, avec la même scansion et les mêmes rimes). Il est donc possible d'imaginer dix à la puissance quatorze combinaisons, soit effectivement cent mille milliards de poèmes.

Cet exercice stimulant fut salué par les Oulipiens comme la «première œuvre de littérature potentielle». Manipulable quasiment à l'infini, Cent mille milliards de poèmes est aussi... chronophage. Queneau l'annonce lui-même dans la préface : «En comptant 45 secondes pour lire un sonnet et 15 secondes pour changer les volets à 8 heures par jour, 200 jours par an, on a pour plus d'un million de siècles de lecture, et en lisant toute la journée 365 jours par an, pour 190 258 751 années plus quelques plombes et broquilles (sans tenir compte des années bissextiles et autres détails)». Ce livre traduit en plusieurs langues est présenté comme une œuvre d'art, sous verre, dans l'exposition du Musée  de l'imprimerie.
Nadja Pobel