Focus sur une oeuvre : "Jeux d'enfants" (1988)

Vendredi 15 novembre 2013

Photo : © The Estate of Sigmar Polke/ADAGP

Alors qu'il se rend en France pour préparer sa première grande exposition au Musée d'art moderne de Paris, Sigmar Polke se lance en 1988, et ce pendant deux ans, dans la réalisation d'un groupe de vingt-deux tableaux sur le thème de la Révolution française. Au-delà de ses réflexions sur l'histoire, Polke y poursuit ses expérimentations sur l'image, les matériaux picturaux, le tressage de l'iconographie ancienne avec l'imagerie moderne. À l'instar de Marx pour qui l'histoire advient toujours deux fois - « la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce » -, Polke en plein bicentenaire de la Révolution française n'oublie pas d'instiller dans ses tableaux une bonne dose d'humour et d'ironie mordante... Humour noir qu'on découvre par exemple dans Jeux d'enfants, où les bambins ne jouent point avec une balle mais... avec une tête décapitée !

La scène principale de ce tableau a été empruntée à un détail d'une gravure anonyme datant de 1792, dénonçant les Massacres de septembre perpétrés après la chute de la monarchie. Pour composer cette toile célèbre et l'une des plus fascinantes de la série sur la Révolution, Polke a réalisé douze dessins préparatoires où l'on voit apparaître ou disparaître d'autres figures. L'œuvre finale constitue une sorte de condensé de la peinture de Polke avec des personnages représentés en trames (trames jouant sur cette ambivalence : l'image apparaît-elle ou disparaît-elle?), une végétation mouvementée, bariolée et lyrique flirtant avec l'abstraction, des images qui n'apparaissent qu'à une certaine distance ou sous un certain angle. Une fois encore, Polke se situe sur une frêle ligne entre figuration et abstraction, vie et mort des images, beauté et horreur, classicisme et modernité, passé et présent, tragique et comique... C'est en ne tranchant jamais entre ces contraires, mais au contraire en les alliant, en « jouant » avec que Polke redonne naissance et tranchant à la peinture.

Jean-Emmanuel Denave

Sigmar Polke

Figure de premier plan de la peinture de ces cinquante dernières années, Sigmar Polke, tout en s'inscrivant dans les grands courants de la création artistique de son époque, du Pop Art à Fluxus en passant par l'art conceptuel, a profondément renouvelé le langage pictural de la fin du XXe siècle. Son désir incessant d'expérimentation touche aussi bien les images dont il met en question la hiérarchie et interroge le mode d'apparition, que le support qu'il active au point de le rendre pleinement constitutif du tableau ou encore que les couleurs dont il traque les potentialités tant physiques que plastiques.