Pasolini, une oeuvre inconsommable
Bibliothèque de la Part-Dieu / Deux Ă©vĂ©nements complĂ©mentaires pour (re)dĂ©couvrir l'œuvre de Pasolini : une exposition qui retrace, en images et en archives, sa biographie et les grandes Ă©tapes de sa carrière artistique ; un numĂ©ro passionnant de la revue Initiales qui creuse sa pensĂ©e intempestive et son hĂ©ritage.

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En reprenant pour son exposition le titre d'un livre de Pier Paolo Pasolini publié en 1959, Una vita violenta (Une vie violente publiée en français chez 10/18), le Lyonnais Michel Chomarat annonce la couleur : rouge marxiste, rouge-sang pour un artiste qui n'a cessé d'être poursuivi et menacé, dont la vie familiale fut tragiquement traversée par l'Histoire et qui finit lui-même assassiné sur une plage à Ostie début novembre 1975...
ConstituĂ©e essentiellement d'Ă©lĂ©ments visuels (photographies d'archives, affiches de films, images de tournages, reproductions d'œuvres d'art en lien avec Pasolini...), l'exposition constitue une intĂ©ressante introduction Ă la biographie et Ă l'œuvre monumentale de Pasolini : cinĂ©aste (une vingtaine de films), romancier, dramaturge, poète, essayiste !
Michel Chomarat nous invite à parcourir quatorze "stations" en référence au Chemin de croix et au film L'Évangile selon Saint-Matthieu (1964). « Comme le Christ, Pasolini, figure emblématique de l'homme blessé, vilipendé, humilié, trahi, s'est chaque fois relevé, pour finalement succomber sous les coups » écrit de manière un peu lyrique Michel Chomarat. De Bologne à Ostie, de 1926 à 1975, l'exposition déplie les grands moments de la vie de Pasolini : son frère résistant Guido assassiné par des partisans de Tito, ses démêlées avec l'église, sa carrière littéraire et, surtout, sa carrière cinématographique qui se terminera avec cet ovni sadien et radical, Salo ou les 120 journées de Sodome.
Initiales PPP
Mais si l'exposition insiste sur la violence rĂ©elle de la biographie de Pasolini et sur l'aspect sulfureux et scandaleux de nombre de ses œuvres, il est une autre violence de Pasolini qui n'y apparaĂ®t guère (car il faut pour cela se replonger dans ses œuvres) : celle de sa pensĂ©e.
Dans son introduction au dernier numĂ©ro d'Initiales consacrĂ© Ă Pasolini, Emmanuel Tibloux dit refuser « une lecture qui se laisse hypnotiser par la mort du grand homme et fait du terme brutal d'une vie le point de dĂ©part de l'interprĂ©tation de l'œuvre, en projetant sur celle-ci l'ombre funeste et sordide du jour des morts. PlutĂ´t que sur la plage d'Ostie, nous pensons que c'est sur d'autres plages que se dĂ©ploie l'œuvre de Pasolini : sur la plage des Comizi d'amore, oĂą il prend le pouls de la jeunesse italienne des annĂ©es 1960 ; [...] sur la plage de MĂ©dĂ©e, oĂą il remonte l'histoire de l'humanitĂ© jusqu'Ă ses confins mythiques, en prenant Ă rebours toute une idĂ©ologie du progrès [...] dans laquelle il dĂ©cèle l'œuvre d'une amnĂ©sie et d'un nivellement gĂ©nĂ©ralisĂ©. »
Comme ses pratiques artistiques hétéroclites, la pensée de Pasolini est proprement inclassable et intempestive. C'est par exemple un marxiste grand lecteur de Gramsci qui se réfère aussi au sacré religieux et aux mythes. Un penseur du politique et un penseur du désir et des passions "archaïques"...
Principe de l'incertitude
Dans la revue Initiales, l'écrivain Thomas Clerc dit de Pasolini qu'il « bande pour le peuple », lui reprochant au passage (au sein d'un texte qui dit par ailleurs son immense admiration) une sorte de rousseauisme fétichisant un peuple désirable « à condition qu'il reste ce qu'il est, "innocent", "barbare", "poétique". » Mais, dans une interview pour la sortie de son film Porcherie (1969), Pasolini est conscient que « le peuple n'existe pas », que « la masse » s'y est substitué, et dit s'adresser « à un spectateur idéal dans un dialogue démocratique avec lui. »
Il avoue même sa plus grande sympathie pour le personnage de Jean-Pierre Léaud, jeune bourgeois désorienté, vouant une passion érotique pour les porcs (!), plutôt que pour le personnage de Pierre Clementi, sorte de "saint" anthropophage et figure de la désobéissance radicale, évoluant dans un passé antique (le film est clivé en montage parallèle entre une partie moderne et une partie antique).
Ni fascinĂ© par la rĂ©ussite capitaliste de sa famille, ni convaincu par l'activisme gauchiste de sa petite amie Ida, Jean-Pierre LĂ©aud est un personnage de l'incertitude, proche en cela de Bartleby de Melville ou du personnage fĂ©minin du film Le Principe de l'incertitude de Manoel de Oliveira... Ă€ la fin des annĂ©es 1960, Pasolini dit rĂ©aliser « des films inconsommables. » Un terme parfait pour l'ensemble de son œuvre toujours en rupture : avec l'idĂ©ologie dominante, avec sa contre-idĂ©ologie, et mĂŞme en rupture avec elle-mĂŞme, en constante (r)Ă©volution.
Pasolini, una vita violenta
À la Bibliothèque de la Part-Dieu jusqu'au 10 août
Visite commentée de l'exposition par Michel Chomarat le mercredi 25 mai à 15h
À lire, voir, écouter
- Revue Initiales n°7, "Pier Paolo Pasolini", éditions ENSBA, 15 euros
- Rencontre avec Pierre Adrian, auteur de La Piste Pasolini (enquête et récit de voyage sur les traces de Pasolini) le mardi 7 juin à 18h30 à la Bibliothèque de la Part-Dieu
- Rencontre avec Gilles Verneret le mercredi 1er juin à 18h30 à la Bibliothèque de la Part-Dieu : le photographe présentera sa série d'images Il Luohi de Pasolini sur les lieux où a vécu Pasolini
- Sono Pasolini le jeudi 30 juin Ă 22h dans le cadre des Nuits de Fourvière : Giovanna Marini (accompagnĂ©e de Coro Favorito, de Enrico Frattaroli et d'un chœur) rend hommage Ă son ami, en chansons et en musiques, en s'appuyant sur plusieurs de ses textes