Fantin-Latour, le classique inclassable "Ă fleur de peau"
MusĂ©e de Grenoble / Presque deux siècles après sa naissance en terre isĂ©roise, Henri Fantin-Latour se dĂ©voile (Ă nouveau) au public avec une rĂ©trospective "Ă€ fleur de peau". Connu pour ses natures mortes florales et ses portraits, le peintre a surtout construit une œuvre picturale hors de l'histoire de l'art tout en l'ancrant dans son temps. Un parcours riche mis en lumière avec sensibilitĂ© par le MusĂ©e de Grenoble.

Classique sans ĂŞtre acadĂ©mique, Henri Fantin-Latour (1836 - 1904) a composĂ© tout au long de sa vie une œuvre picturale singulière, dĂ©tachĂ©e des codes artistiques d'alors pour privilĂ©gier une approche intime et vivante. NĂ© Ă Grenoble, le jeune artiste apprend le dessin sous la tutelle de son père avant de voguer vers la capitale française en 1850 afin d'intĂ©grer l'atelier Horace Lecoq. IntĂ©ressĂ© par ses contemporains comme Delacroix mais aussi marquĂ© par les maĂ®tres du XVIIIe siècle qu'il passe son temps Ă copier au Louvre, il dĂ©veloppe une touche particulière qui ne rĂ©pond Ă aucun code.
Amoureux de la nature, il réalise ses premières natures mortes dans les années 1850 et s'adonne en parallèle à l'exercice du portrait avec satisfaction. Également mélomane invétéré de mélopées allemandes et admirateur du corps féminin, ce sont toutes ses inclinaisons qui influencent sa peinture, offrant une forme classique emprunte de modernité.
Le MusĂ©e de Grenoble propose ainsi une dĂ©ambulation sensible avec Fantin-Latour, Ă fleur de peau, rĂ©trospective chronologique qui met en lumière l'esthĂ©tique vibrante de l'artiste au grĂ© de 150 œuvres dont un corpus photographique et une reconstitution de son atelier parisien.
Portraitiste de l'intime
L'exposition s'ouvre magistralement avec une sĂ©rie d'autoportraits du peintre, vĂ©ritable socle de son art. Entre 1850 et 1860, Fantin-Latour dĂ©laie dans la reprĂ©sentation de soi un trait sobre mais inquiet, notamment avec l'Autoportrait, la tĂŞte lĂ©gèrement baissĂ©e (1861). Le rĂ©alisme nĂ©buleux s'immisce pareillement dans les portraits qu'il effectue de ses deux sœurs, modèles silencieux de son intimitĂ©. Selon des mises en scène de recueillement ou de mĂ©ditation, il sculpte les visages par un travail subtil de la lumière en clair-obscur. Ă€ partir des annĂ©es 1870, les deux femmes sont remplacĂ©es, dans sa vie comme dans son œuvre, par sa fiancĂ©e Victoria, rencontrĂ©e au Louvre, et Charlotte Dubourg, la sœur de cette dernière. Il transcende alors vĂ©ritablement le genre codifiĂ© du portait de famille.
Durant ses annĂ©es de jeunesse, il s'accomplit Ă©galement Ă travers les natures mortes, peu considĂ©rĂ©es Ă l'Ă©poque, lui offrant toutefois une grande satisfaction. Sa passion pour la nature se trouve sublimĂ©e par des effets de textures et de couleurs octroyant une sensation vivante aux compositions florales. Fleurs d'Ă©tĂ© et fruits (1866) constitue l'un des chefs-d'œuvre de cette pĂ©riode, tout comme la Nature morte dite « de fiançailles » qu'il offre alors Ă Victoria en 1866 pour sceller la promesse de leur union.
Mélomane du pinceau
Le parcours se poursuit avec la décennie 1864-1874, véritable moment charnière dans la carrière de l'artiste. Chose inhabituelle pour l'ère artistique, alors tournée vers une peinture d'extérieur, Fantin-Latour dépeint un pan de l'histoire contemporaine avec des tableaux de groupe en intérieur. Un atelier à Batignolles (1870) rend hommage Édouard Manet, l'un des pères de l'impressionnisme, ici entouré de Renoir, Monet et Zola. Avec le Coin de table (1872), c'est la dimension littéraire de Fantin-Latour qui est mise en lumière avec notamment la présence de Verlaine et Rimbaud. Car en témoin privilégié de son temps, Fantin-Latour fréquente les avant-gardes artistiques tout en conservant sa réserve classique.
Pourtant, au tournant des annĂ©es 1880, il s'Ă©loigne des sentiers du rĂ©alisme pour œuvrer dans l'imagination. Toile la plus emblĂ©matique de cette pĂ©riode, L'Anniversaire (1876) cĂ©lèbre Hector Berlioz et souligne l'appĂ©tence musicale du peintre. Figures allĂ©goriques et personnages rĂ©els se cĂ´toient dans cette composition alliant rĂ©alitĂ© et fĂ©erie. Le corps de la femme prend une place importante, se retrouvant sous le pinceau de Fantin-Latour comme doucement caressĂ© par la matière.
Usant parfois de photographies pour les modèles, Fantin-Latour a également collectionné de nombreux clichés de nus féminins mis en exergue dans l'espace d'exposition. De pétale en peau, Henri Fantin-Latour a ainsi offert à l'histoire de l'art un dessein sensible et inclassable, dont la beauté lyrique séduit le regard.
Fantin-Latour, Ă fleur de peau
Au Musée de Grenoble jusqu'au dimanche 18 juin