Dans de beaux drapés

par JED
Mardi 3 décembre 2019

Musée des Beaux-Arts / L'exposition Drapé nous plonge parmi les plis et les drapés innombrables d'artistes de toutes époques. D'une étude de Michel Ange aux photographies de Francesca Woodman, d'un dessin de Dürer aux sculptures de Rodin, de Delacroix à Man Ray ou Gustave Moreau...

Photo : Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson, Étude de draperie pour Scène de déluge © Musée d'Arts de Nantes

Le drapé est un délire, le drapé est une folie. Folie technique sur le plan artistique, folie érotique sur le plan du désir (le drapé cache pour mieux suggérer), folie tout court si l'on suit le psychiatre Gaëtan Gatian de Clérambault (1872-1934). Celui qui s'est suicidé en se tirant une balle dans la bouche devant un miroir (!), qui s'intéressait autant aux images et à l'art qu'à l'automatisme mental, s'est beaucoup penché sur la passion féminine érotique, voire délirante, des étoffes, et des soies qui provoquent l'orgasme. Affecté, pendant la Guerre en 1917 au Maroc, il entreprend un projet encyclopédique fou ayant pour but d'établir une typologie du drapé, couvrant toutes les civilisations de l'Antiquité à l'Orient contemporain ! Mais il ne réalisera concrètement qu'un corpus de photographies sur le haïk et le burnous marocains, dont l'exposition du Musée des Beaux-Arts présente un large extrait dans l'une de ses dernières salles.

Cette folie encyclopĂ©dique menaçait aussi les commissaires de l'exposition DrapĂ© Ă  Lyon, Sylvie Ramond et Éric Pagliano, qui ont rĂ©duit la voilure d'un « pari fou » et ont choisi « un propos non chronologique axĂ© sur les processus de crĂ©ation, en entremĂŞlant des œuvres de la Renaissance Ă  nos jours. »

En mouvement

C'est ainsi dans l'atelier des artistes, ou presque, que l'exposition nous emmène, parcourant de salle en salle le processus de crĂ©ation (en peinture ou en sculpture) du drapĂ© : l'utilisation prĂ©paratoire de mannequins et de figurines en cire, le passage du nu au drapĂ©, l'Ă©tude de l'anatomie du drapĂ© en lui-mĂŞme, le passage du drapĂ© au pli et Ă  l'abstraction... Ce parcours riche en œuvres exposĂ©es est ponctuĂ© aussi de quelques espaces monographiques consacrĂ©s par exemple Ă  la danse de SalomĂ© de Gustave Moreau, aux sculptures de Rodin, Ă  l'Illiade et Ă  l'OdyssĂ©e peintes par Ingres, aux Trois femmes Ă  la fontaine de Picasso... On dĂ©couvre ainsi le drapĂ© sous toutes ses coutures, et mĂŞme couture après couture, esquisse après esquisse, Ă©tude après Ă©tude, variations après variations, jusqu'Ă  un certain vertige visuel et sensuel. Pour complĂ©ter ou corser le tout, le musĂ©e a eu l'excellente idĂ©e de s'associer avec la Maison de la Danse, pour projeter un certain nombre de vidĂ©os de danse au sein de l'exposition, avec des pièces chorĂ©graphiques de Anna Halprin, Mourad Merzouki, Eun-Me Ahn, Martha Graham... Le drapĂ© est donc aussi un ouvrage en mouvement, en constants dĂ©calages de mĂ©diums et d'Ă©poques, de formes et de formats. La photographie y a elle aussi une place de choix et s'intègre parfaitement dans des ensembles de dessins ou de peintures d'autres Ă©poques.

En commun

L'exposition se clĂ´t sur une œuvre abstraite de Piero Manzoni, Achrome 1958, montrant les plis Ă©pais d'une toile blanche. Et l'on comprend alors, tout comme on le pressentait de salle en salle, que le drapĂ© est une thĂ©matique idoine pour montrer un intĂ©rĂŞt presque atemporel chez les artistes de toutes Ă©poques et de toutes obĂ©diences : le choc plastique et quasi abstrait d'un simple jeu d'Ă©toffes sur un corps fĂ©minin ou masculin. Comme la ligne dans Le plaisir au dessin (autre exposition montrĂ©e au MusĂ©e il y a quelques annĂ©es), le pli dans DrapĂ© constitue une sorte de constante plastique obsĂ©dant les artistes : Ă©lĂ©ments simples qui tout Ă  la fois sont source de crĂ©ation infinie, et aussi d'Ă©motions et de sensations qui traversent les âges et les diffĂ©rences de mentalitĂ©s. On pourra le vĂ©rifier en Ă©tant saisi par la beautĂ© et la puissance de ce motif en dĂ©couvrant aussi bien un pan de draperie de DĂĽrer, une robe lĂ©gère de Delacroix, un presque fantĂ´me de Georges Grosz, une sculpture dĂ©sarticulĂ©e du Bernin, une miniature photographique de Man Ray, un lit dĂ©fait de Imogen Cunningham... Ou encore, notre œuvre favorite, un nu en clair obscur comme s'Ă©chappant d'un drap, photographiĂ© par Francesca Woodman en 1977.

Drapé
Au Musée des Beaux-Arts jusqu'au 8 mars 2020

Drapé

Degas, Christo, Michel-Ange, Rodin, Man Ray, DĂĽrer...