Portraits de femmes

Mardi 5 octobre 2021

ThĂ©ma / MarquĂ©e par la fĂ©minisation des palmarès internationaux (qu'on espère plus structurelle que conjoncturelle), cette annĂ©e cinĂ©ma 2021 donne Ă  voir une vaste galaxie de personnages fĂ©minins dans des œuvres d'autrices comme d'auteurs. C'est cela aussi, la paritĂ©...

Photo : ©CHAZ Productions

Entamons ce tour d'horizon avec Petite Sœur (06/10) signĂ© par les Suissesses VĂ©ronique Reymond & StĂ©phanie Chuat, qui suit la relation entre un comĂ©dien gravement malade et sa jumelle, dramaturge persuadĂ©e qu'un retour sur scène aura des bienfaits thĂ©rapeutiques. La gravitĂ© de ce drame intime, viscĂ©ral, riche en non-dits et oĂą le deuil se fabrique en direct, est tempĂ©rĂ©e par une distribution de luxe : les polyglottes et fusionnels Nina Hors/Lars Eidinger, enfants d'une Marthe Keller azimutĂ©e, croisent Thomas Ostermeier... On tient lĂ  un film prĂ©cieux, d'une douloureuse beautĂ©.

Deux sœurs et une mère sont au centre de Freda de Gessica Geneus (13/10). Terriblement d'actualitĂ©, cette chronique de Port-au-Prince montre l'hĂ©roĂŻne-titre cherchant Ă  s'affranchir de la misère par l'instruction, malgrĂ© le saccage de l'institution universitaire, tandis que sa cadette, poussĂ©e par sa mère semi-maquerelle, s'engage dans un mariage trop beau pour ĂŞtre vrai. Sans affĂ©terie ni complaisance, ce film brut - oĂą la place de la langue (crĂ©ole ou française) a une redoutable importance - rĂ©sume la confusion d'un pays dĂ©vastĂ© par les calamitĂ©s et la corruption, plongĂ© dans un vrac systĂ©mique.

Autre format mais famille toujours : le doc Leur Algérie (13/10) que Lina Soualem (fille de Hiam Habbas et Zinedine Soualem) consacre à ses grands-parents paternels venus d'outre-Méditerranée pour travailler à Thiers et qui après plus d'un demi-siècle d'union ont divorcé... pour vivre dans des appartements voisins. Au-delà du portrait tendre de personnages truculents et touchants, la cinéaste effectue un voyage dans la mémoire familiale, pauvre en archives, tendant vite à l'universalité - les deux aïeux étant représentatifs de leur génération.

Politique, n.f.

Retour au bercail avec Debout les femmes ! (13/10) qui voit François Ruffin & Gilles Perret reprendre la route à l'occasion de la mission parlementaire du premier sur les « métiers du lien » (généralement exercés par des femmes). Bonne surprise, ce documenaire diverge de leur précédent ciné-tract opportuno-propagandiste, J'veux du soleil ! en étant nourri ab ovo de la contradiction idéologique portée par Bonnell (co-rapporteur de la mission) mais aussi d'accidents ou imprévus (la crise sanitaire) : ce n'est plus un pamphlet politicien, mais un film politique au sens plein, comme La Sociale jadis. Malgré sa fin - une théâtralisation malaisante des intervenantes dans une assemblée en carton - il prouve qu'un dialogue parlementaire transpartisan fonctionne encore, heureusement.

Tout aussi politique s'avère La Fracture de Catherine Corsini (27/10) qui narre la rencontre improbable entre un routier fort en gueule et une bourgeoise capricieuse (oui, on touche à des stéréotypes) dans un service des urgences, alors que le mouvement des Gilets jaunes bat son plein, que la police est aux portes d'un hôpital public aux services épuisés. Une photographie à 360° d'un "moment" social dans un lieu essentiel où se joue dans un quasi temps réel une comédie humaine, tellement réaliste qu'elle en devient fatalement tragique. Une réussite.

Un autre creuset social sert de dĂ©cor Ă  Las niñas (27/10) : un collège catho de filles du dĂ©but des annĂ©es 1990 d'une Espagne encore sous le joug d'une morale rĂ©trograde, alors que la jeunesse aspire Ă  la libertĂ©. Pilar Palomero filme ce moment de bascule coĂŻncidant avec l'adolescence de ses hĂ©roĂŻnes, dans un mixte de nostalgie pour l'insouciance enfantine et de consternation face Ă  la rigiditĂ© conservatrice des mœurs d'alors. Et sans doute la crainte qu'on revienne en arrière...

On conclura avec l'étonnant Les Amants sacrifiés (27/10), qui derrière la promesse romanesque de son titre désuet abrite un film risquant de déconcerter celles et ceux qui prisent la bizarrerie chez Kiyoshi Kurosawa : le cinéaste s'inspire ici en effet du drame d'un couple de Japonais ayant cherché à dénoncer auprès de l'Occident les crimes de son pays durant la Seconde Guerre mondiale. Amour, amitiés, confiance, trahison, tortures, rebondissements sont magnifiés dans ce mélo d'espionnage raffiné. Il faut toujours finir en beauté...