"Les Olympiades" de Jacques Audiard : grands ensembles
Comédie Dramatique / Retour au bercail pour Jacques Audiard après la parenthèse western des Frères Sisters, avec une chronique contemporaine urbaine d'une sensuelle vitalité : le portrait d'un quartier métissé et d'une jeunesse qui l'est tout autant, enveloppé dans un noir et blanc somptueux et des volutes composées par Rone. Une symphonie pour quatre corps.

Photo : © Shanna Besson
Inattendu dans ce registre - mais qui s'en plaindra ? -, Jacques Audiard se révèle presque une âme de grisette en s'intéressant aux marivaudages du XXIe siècle entre jeunes adultes du XIIIe arrondissement parisien : Émilie, Camille, Nora et Amber, trentenaires représentatifs de toutes les cultures, origines et orientations, encore dans l'âge des possibles... et de l'indécision structurelle. Jadis happé par les récits sombres scandés de conflits et de violence, le cinéaste semble ici marquer une pause plus contemplative en dévidant les fils amoureux de ses quatre protagonistes. Qu'on se rassure : en scrutant la manière dont ils s'emmêlent, s'embrouillent et se débrouillent au fil du temps, Audiard cerne des formes de violences sous-jacentes psychiques ou psychologiques pas moins brutales ni traumatisantes !
Au delĂ du chassĂ©-croisĂ© sentimental, Les Olympiades s'ancre puissamment dans le territoire Ă©ponyme du film, plantĂ© de hautes tours oĂą vit une population brassĂ©e, pour beaucoup d'origine asiatique. En cela, ce quartier constitue une rĂ©plique du monde, mais Ă l'Ă©chelle rĂ©duite en plein cœur de Paris, renversant les perspectives europĂ©ano-centrĂ©es. Avec ses allures de Babel, renforcĂ©es par la verticalitĂ© du dĂ©cor et sa foule cosmopolite, augmentĂ©es par l'effet unifiant du noir et blanc - qui confère une atemporalitĂ© et une universalitĂ© au rĂ©cit -, ces images du XIIIe d'aujourd'hui s'amalgament Ă celles d'un New York mental filmĂ© hier par Spike Lee, Scorsese ou Jarmusch. Une ville melting pot et pulsatile, Ă mille lieues du Paris-accordĂ©on haussmanno-germanopratin Ă chambres de bonnes servi clefs en mains dans 99, 9% des scĂ©narios français.
Céline et Léa sont dans le bateau
Ce goĂ»t du pas de cĂ´tĂ©, courant chez Audiard, vient aussi sans doute de sa source d'inspiration : l'œuvre graphique d'Adrian Tomine, dont il a assemblĂ© ici plusieurs nouvelles afin de composer son rĂ©cit - comme Altman avait pu le faire pour Short Cuts (1993) Ă partir de neuf textes et un poème de Raymond Carver. S'y ajoute un art de saisir l'esprit de son Ă©poque (et d'une gĂ©nĂ©ration qui n'est pourtant pas la sienne) semblable aux miracles que Rohmer ou Doillon ont pu autrefois accomplir. Un mĂ©rite qu'il convient de partager avec ses co-scĂ©naristes de prestige Ă peine plus âgĂ©es que les personnages : CĂ©line Sciamma et LĂ©a Mysius - ne manque que Claude Le Pape pour aligner les trois plus subtiles jeunes autrices hexagonales au gĂ©nĂ©rique ! Surtout, cette superbe "substance" contemporaine qu'elles amènent se trouve transcendĂ©e par une distribution Ă l'avenant.
Il y a toutefois quelque injustice à voir l'affiche ou la bande-annonce cannibalisées par Noémie Merland et (dans une moindre mesure) Jehnny Beth, nanties d'une plus grande notoriété que Makita Samba - alias Camille, le seul garçon du groupe - ou Lucie Zhang, une extraordinaire révélation pas loin d'être la raison d'être du film. On ne peut prétendre dessiner une chorégraphie sentimentale sans se doter d'un corps de ballet ad hoc, et le duo Samba/Zhang se livre dans le verbal et le non verbal à une fascinante gigue faite de pas chassés et d'étreintes retenues. Léger comme une évidence, profond comme des fragments du discours amoureux, Les Olympiades tient du baiser offert à la ville et au monde. Il ne tient qu'à vous d'en être destinataire...
★★★★☆ Les Olympiades
Un film de Jacques Audiard (Fr, 1h45 avec avertissement) avec Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merland, Jehnny Beth...