Decision to leave, En roue libre : les sorties du 29 juin

Jeudi 30 juin 2022

Photo : ©Julien Panie

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★★★★☆ DĂ©cision To Leave

Les tourments d'un flic droit malmenĂ© par sa conscience ainsi que par une sĂ©duisante manipulatrice, au cœur d'un polar fatalement stylisĂ© oĂą Park Chan-wook convoque l'Histoire et - naturellement - la cruelle amertume de la vengeance. Prix de la mise en scène Ă  Cannes 2022.

Le corps d'un homme est retrouvé en bas d'une falaise. Tout porterait à croire à une chute accidentelle, mais l'obstiné Hae-Joon s'attache à la personnalité de Sore, son épouse, d'origine chinoise. Car pour ce flic intègre et méthodique, quelque chose cloche dans l'attitude de cette veuve en apparence au-dessus de tout soupçon, bien plus jeune que le défunt. Pire que tout : il a conscience d'être profondément troublé par son charme qu'il devine vénéneux...

Ă€ l'Ouest, rien de nouveau dit-on depuis Remarque. Voyons donc Ă  l'Est, et particulièrement du cĂ´tĂ© de la CorĂ©e du Sud, oĂą semble s'ĂŞtre rĂ©fugiĂ©e toute cette ambition romanesque et narrative dont le cinĂ©ma Ă©tasunien croit pouvoir se passer. Car depuis l'avènement de l'ère des super-hĂ©ros, les polars Ă  intrigues emberlificotĂ©es n'existent plus Ă  Hollywood que sous forme de rĂ©surgence nostalgique ou rĂ©fĂ©rentielle (Knives Out-Ă€ couteaux tirĂ©s, Nightmare Alley, les adaptations - rĂ©ussies - de Agatha Christie par Kenneth Branagh), alors qu'elles constituaient jadis la came ordinaire du spectateur. La nature ayant horreur du vide, la gĂ©nĂ©ration des cinĂ©astes corĂ©ens nĂ©s autour de 1960 a repris ce fĂ©cond flambeau depuis une trentaine d'annĂ©es, fourbissant patiemment ses armes pour finir par dĂ©placer le centre de gravitĂ© du cinĂ©ma mondial avec le sacre de Bong Joon-ho en 2019. Mais il n'aurait pas eu de Parasite sans le travail de sĂ©dimentation effectuĂ© par Lee Chang-dong, Kim Ki-duk, Hong Sang-soo, Lee Myeong-se ni, surtout, Park Chan-wook. RĂ©vĂ©lĂ© au grand public Ă  Cannes par Old Boy (2004) qui mit rĂ©trospectivement en lumière JSA (2000) et Sympathy for Mister Vengeance. Trois œuvres oĂą les cicatrices du passĂ©, la vengeance et/ou la politique sont les ferments des crimes du prĂ©sent. Trois films Ă  l'issue fatale ou dramatique. Decision To Leave s'inscrit dans cette lignĂ©e brillamment sombre.

In the mood for murder

Il fallait ce long préambule en forme de recontextualisation pour rappeler l'importance de l'arrière-plan chez Park Chan-wook, qui n'aime rien tant que plonger (piéger) ses personnages dans des réseaux de contraintes morales, historico-politque et/ou familiales afin d'exploiter ensuite leur mauvaise conscience et les mener sur le chemin de l'expiation ou de la réparation. Avec les manquements déontologiques et conjugaux qu'il pense commettre et la culpabilité (réelle ou imaginaire) qu'il charrie, Hae-Joon pourrait être un héros tourmenté de polar protestant nordique, ou l'un de ces New-Yorkais névrosés apparaissant chez Scorsese, Ferrara, Allen ou De Palma. La différence, c'est que l'interrogatoire au troisième degré se pratique en dégustant des sushis de luxe en compagnie de la suspecte (qui aide à desservir les plats après le repas, sans pour autant s'être mis à table) ou dans la cuisine du policier autour de la confection d'un plat chinois. Mis en scène comme un ballet lascif et pervers, les échanges entre Hae-Joon et Sore jouent avec cruauté sur l'impossibilité de leur romance, se bornant à des frôlements et des empêchements symétriques. Et c'est davantage les conventions que l'empilement des soupçons et des cadavres - McGuffin de cette histoire - qui privent le policier de s'abandonner aux délices de la passion. La passion au sens étymologique du terme est d'ailleurs la grande gagnante de Décision To Leave qui peut rivaliser en raffinement dramatique avec les finales des tragédies antiques. Park Chan-wook parvient ici à revisiter le motif du coucher de soleil langoureux au bord de la mer pour mieux le dépouiller de toute sa substance romantique. Vous ne verrez plus jamais une plage de la même manière.

De Park Chan-wook (Co. du S.-Chi., 2h18) avec Tang Wei, Park Hae-il, Go Kyung-pyo...

★★★☆☆ En roue libre 

Infirmière au bout de l'épuisement, Louise constate un jour qu'elle ne peut plus quitter sa voiture sans subir une crise de panique. Pas de chance, c'est son auto que vole Paul, un chien fou engagé dans une vendetta personnelle. Bien malgré eux, ils vont traverser la France ensemble, s'apprivoisant et s'aidant peu à peu.

Bien que reposant sur un argument simplicissime (et s'achevant sur un clin d'œil Ă  un classique du buddy movie Ă  voiture), ce road movie tient son pari de mener - littĂ©ralement - Ă  bon port ses deux protagonistes enfermĂ©s chacun dans des obsessions nĂ©vrotiques ; les rencontres multiples scandant le voyage contribuant Ă  ouvrir leurs horizons et fissurer leur prisons intĂ©rieures. La rĂ©alisation de Didier Barcelo aère d'ailleurs volontiers le cadre, en maintenant toutefois une pression constante sous des prĂ©textes touristiques : plans en surplomb ou de la voiture Ă©loignĂ©e, la figurant comme un minuscule jouet jaune dans l'immensitĂ© de la nature. Mais ce qui habille et habite ce premier long mĂ©trage, c'est le choix les deux interprètes principaux : Marina FoĂŻs, renouant ici avec un de ces personnages foudroyĂ©s par une brutale perte de repères (Darling, IrrĂ©prochable et bientĂ´t As Bestas), funambulise entre la folie sĂ©rieuse et la comĂ©die ; Benjamin Voisin Ă©tant quant Ă  lui inquiĂ©tant et fragile Ă  la fois. On sent quand un cinĂ©aste aime ses comĂ©diens. 

De Didier Barcelo (Fr., 1h29) avec Marina Foïs, Benjamin Voisin, Jean-Charles Clichet...