"Petit Pays" : Gaby au pays des horreurs
Théâtre / Dans son roman "Petit Pays" sorti en 2016, Gaël Faye raconte le génocide rwandais de 1994 (et, surtout, ses prémices) à hauteur d'enfant. Son texte à succès vient d'être adapté au théâtre par le metteur en scène Frédéric R. Fisbach : un spectacle déroutant et poignant à découvrir à la MC2.

Photo : Vincent Berenger Scène nationale Châteauvallon-Liberté
« Quand j'ai lu le roman de Gaël Faye, j'ai été, comme beaucoup, bouleversé par le destin de Gaby, spectateur et acteur malgré lui du "génocide du Rwanda". » En 2016, le musicien franco-rwandais Gaël Faye sortait Petit Pays, récit autofictionnel sur un jeune garçon submergé par la vague de l'histoire. Un coup de maître qui rencontra un incroyable succès en librairie et gagna de nombreux prix littéraires - dont le Goncourt des lycéens. Après avoir été adapté au cinéma en 2020 par Éric Barbier, voilà ce livre porté sur le plateau par le metteur en scène Frédéric R. Fisbach - ce sont ses mots qui ouvrent cet article. Dévoilé en novembre à Toulon, le spectacle assume un véritable parti pris.
En s'extrayant de la linéarité attendue et d'un découpage par personnage, Frédéric R. Fisbach et son dramaturge Samuel Gallet ont fragmenté le texte, confié par segments aux interprètes qui peuvent camper plusieurs figures voire se les échanger. Un choix surprenant de prime abord qui permet cependant de subtilement décaler l'histoire de Gaël Faye du côté de l'impression (avec une sorte de chœur moderne sur scène) plus que de l'incarnation, la scénographie évocatrice (un tapis vert rappelant les collines rwandaises, le recours à la vidéo en toile de fond...) renforçant cet aspect sensitif.
Affaire sensible
Si, en ayant procédé ainsi, Frédéric R. Fisbach n'a pas facilité la réception de sa pièce (donnant par légers moments l'aspect d'une aventure volontairement trop éloignée du matériau populaire de base, comme s'il fallait absolument qu'il prouve la plus-value de son apport quitte à sacrifier la compréhension globale), il n'a paradoxalement pas enlevé toute la puissance émotionnelle du roman. En quelque deux heures, il livre un puzzle qui s'assemble au fil de la représentation, laissant se déployer le drame d'une famille franco-rwandaise touchée de plein fouet par le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 - notamment la mère, littéralement détruite par ces événements tragiques.
Porté par un casting métissé (« elles et ils sont noirs, blancs, français ou étrangers. Ce métissage de la distribution est essentiel pour moi. Couleur de peau et accent sont les marqueurs de la France contemporaine, elle se voit et s'entend dans la rue » - extrait de la note d'intention), le spectacle prend alors rétrospectivement toute sa force, les parties moins limpides du début (notamment sur qui sont tous ces personnages - les employés de la famille, les voisins, les copains de classe...) s'effaçant face à l'émotion pure du dernier tiers, autour de ce pan d'histoire lointaine qui a pourtant eu lieu il y a moins de 30 ans. Bouleversant.
Petit Pays mercredi 11 et jeudi 12 janvier à la MC2 ; de 5€ à 28€