Les enjeux de la concurrence loyale pour le créateur d'entreprise
Créer son entreprise, c'est bien. Le faire dans le respect des autres c'est mieux... et moins risqué ! La tentation est légitime de « s'inspirer » de ce (ceux) qu'on connaît, à l'aube d'une nouvelle aventure professionnelle. La concurrence est libre, certes. Mais elle doit être loyale.
Souvent, celui qui crée son entreprise a d'abord été salarié. S'il décide un jour de « voler de ses propres ailes », dans le même secteur d'activité, la vigilance est de mise.
Tes engagements tu respecteras
Le créateur d'entreprise, qui a été salarié, doit, avant de se lancer, reprendre son contrat de travail. En effet, celui-ci pourrait comporter une clause de non-concurrence. La validité d'une telle clause est strictement encadrée. Notamment, la clause doit, pour être valable, prévoir une contrepartie financière, être justifiée par la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et être limitée dans le temps et dans l'espace.
Sous ces réserves, le salarié, qui rompt son contrat de travail, doit veiller à respecter cet engagement. À défaut, il s'expose à une condamnation à des dommages et intérêts, dont le montant est souverainement apprécié par le juge en considération du préjudice causé. Il peut également se voir interdire de poursuivre son activité, ce qui mettrait un coup d'arrêt à son projet entrepreneurial.
Indépendamment d'une clause de non-concurrence qui serait contractuellement prévue, la loi proscrit tous comportements et manœuvres déloyales, qui tendent à détourner le jeu d'une concurrence saine et équilibrée, respectueuse du travail de chacun.
Cette interdiction de la concurrence déloyale résulte de l'article 1240 du Code civil qui dispose que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Les juges sont les gardiens du respect de ce principe, dont les contours sont définis par la jurisprudence, dans le souci de préserver la loyauté de la concurrence entre les différents acteurs
économiques.
Les manquements constitutifs de concurrence déloyale sont de différentes natures et le créateur d'entreprise serait inspiré de respecter les préceptes suivants pour ne pas s'exposer aux foudres du juge.
Tu ne voleras point le travail de ton concurrent, ou l'interdiction de concurrence par parasitisme
La théorie du parasitisme interdit de profiter des investissements d'autrui, à moindre prix, indépendamment de tout risque de confusion dans l'esprit des
clients.
Le créateur d'entreprise ne peut, sous couvert de la liberté d'entreprendre, tirer profit du travail réalisé par un concurrent, sans fournir le moindre effort en termes financiers et/ou humains.
Il lui est également interdit de détourner des données stratégiques et/ou confidentielles de son concurrent, notamment en s'appropriant les fichiers clients ou les fichiers commerciaux. À titre d'exemple, il a été jugé que le salarié d'une société exploitant une activité d'organisation de spectacles et de festivités sans clause de non-concurrence, qui avait créé une société exploitant la même activité en emportant, avec lui, « le répertoire des artistes et des prestations de services, ainsi que des agendas de rendez-vous clients, ce qui lui avait permis de démarcher la clientèle de son ancien employeur, et qui avait contacté cette clientèle en lui offrant des prix inférieurs », avait eu un comportement concurrentiel déloyal à l'égard de son ancien employeur.
Il convient de souligner que les pouvoirs du juge sont importants et peuvent venir au soutien de la démonstration par le concurrent des agissements déloyaux dont il s'estime victime. Notamment, au visa de l'article 145 du Code de procédure civile qui dispose : « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits, dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. » Le juge peut, sans que le créateur d'entreprise indélicat en soit préalablement informé, désigner un commissaire de justice pour saisir les éléments de nature à établir les manquements invoqués (ordinateurs, fichiers, téléphone...).
Tu ne débaucheras point le personnel de ton concurrent, ni ne déstabiliseras son organisation
La désorganisation consiste à perturber le fonctionnement interne de son concurrent, en impliquant directement ses salariés, ses partenaires ou ses clients. Elle peut résulter d'un débauchage au sein d'une même entreprise durant une période circonscrite, de la divulgation d'éléments de nature à fragiliser son concurrent, du détournement de commandes ou encore de dégradations. Le créateur d'entreprise doit s'interdire notamment d'emmener avec lui ses collègues les plus compétents pour tirer profit de leur savoir-faire.
Le débauchage sera considéré comme fautif s'il s'avère massif ou s'il est à l'origine d'une désorganisation de l'entreprise.
Et la chambre commerciale économique et financière de la Cour de cassation a rappelé le 13 avril 2023 que constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage massif du personnel d'un concurrent, qui a pour effet d'entraîner sa désorganisation, quand bien même les salariés sollicités n'auraient pas tous accepté l'offre d'embauche qui leur a été faite.
Tu ne dénigreras point
Le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur un concurrent, dans le but de détourner sa clientèle. En cela, il se distingue de la simple critique eu égard aux intentions malveillantes de son auteur, caractérisant un abus dans la liberté d'expression.
Il porte tout autant sur les produits et les services fournis par ce concurrent que sur ses méthodes de travail ou encore son fonctionnement interne. Le dénigrement consiste à diffuser des informations négatives sur la qualité des produits et des services, sur les compétences, la fiabilité, la solidité financière...
Ainsi, prétendre auprès des clients d'un concurrent que celui-ci aurait des déboires judiciaires du chef d'agissements répréhensibles (comme la contrefaçon, par exemple), alors qu'aucun juge ne s'est encore prononcé sur les manquements dénoncés, constitue un acte de dénigrement de nature à nuire à l'image de marque de l'entreprise.
Tu ne tromperas point, ou l'interdiction de concurrence par confusion
À l'inverse du dénigrement, la confusion consiste à s'approprier la notoriété d'un concurrent pour capter sa clientèle. Elle peut porter sur le nom que le créateur d'entreprise aura choisi, sur son identité visuelle, mais également sur la nature de ses produits et de ses services.
Elle consiste à créer, dans l'esprit du client, par imitation, même imparfaite, une assimilation au concurrent ou aux produits qu'il a conçus, fabriqués ou commercialisés. Elle s'apprécie en considération de la notoriété du concurrent, des signes distinctifs, de l'antériorité de son activité, de son rayonnement géographique, de l'originalité de ses produits et services...
Quels sont les enjeux pour celui qui choisit de s'affranchir de ces règles ?
La sanction de la concurrence déloyale peut être sévère : elle est souverainement appréciée par les juges, en considération de l'avantage indûment retiré par le chef d'entreprise indélicat, en d'autres termes du chiffre d'affaires qu'il a généré et/ou dont il a privé son concurrent, ou du préjudice qu'il a causé, notamment par la désorganisation induite par ses agissements. Le risque de sanction est d'autant plus prégnant que la conjoncture économique est tendue et les acteurs de la vie économique fragilisés. Dans un tel contexte, le rôle du juge prend tout son sens et ce dernier aura à cœur de rétablir l'équilibre et de veiller à une concurrence saine, dans le respect des lois applicables.
En résumé, le créateur d'entreprise devra veiller à ne pas abuser de sa liberté d'entreprendre, dans le souci du respect des acteurs économiques avec lesquels il a été ou est en relation.