La vente de l'immeuble reçu par donation : les obstacles à éviter

par Me Kelti Kopellaj
Vendredi 17 janvier 2025

Le processus de vente d'un bien immobilier reçu par donation présente certaines spécificités qu'il est important de rappeler, afin d'éviter les surprises.

Souvent motivées par une volonté d'anticipation successorale, les donations de biens immobiliers sont une étape importante de la transmission familiale. Les modalités de ce projet familial sont alors consignées dans un acte de donation. Seulement, les circonstances financières ou familiales peuvent parfois nous obliger à changer de direction et à envisager de vendre l'immeuble donné. Il sera alors primordial de se pencher sur les particularités de cette vente.

Les modalités de la donation figurant dans l'acte doivent faire l'objet d'une analyse préalable à la mise en vente.

La réserve d'usufruit

Dans certains cas, le parent donateur peut décider de donner le bien en se réservant l'usufruit sur ce même bien, sa vie durant. Dans ce cas, et tant que le parent est vivant, l'enfant gratifié est donc seulement titulaire de la nue-propriété. Logiquement, il ne pourrait alors vendre que le droit dont il est titulaire, à savoir la nue-propriété, le parent vendant lui, en parallèle, son usufruit. L'accord des deux est donc nécessaire pour vendre.

La valeur de l'usufruit et le réinvestissement du produit de la vente

Lorsque le donateur a conservé l'usufruit du bien donné, comment doit être réparti le prix de vente entre parent et enfant ? Le sujet de la répartition du prix de vente pose surtout la question de la méthode de calcul de la valeur de cet usufruit dont le parent est titulaire. Il faut en effet rappeler que, l'usufruit étant un droit viager, il est valorisé selon l'âge de son titulaire et s'éteint avec le décès de ce dernier.

Selon le type de bien immobilier, il faut alors, soit retenir une valeur basée sur le barème fiscal de l'article 669 du CGI, soit s'intéresser à une évaluation économique (tenant compte notamment de la rentabilité du bien). Ce point sera à anticiper avant la vente afin de chiffrer les droits de chacun sur le prix de vente.

Le donateur et son enfant gratifié peuvent souhaiter réinvestir le produit de la vente dans une nouvelle acquisition. Par exemple, vendre la maison individuelle, résidence principale du parent, pour acquérir un appartement. L'anticipation sera ici d'autant plus importante qu'il faudra budgéter le nouvel achat (acquisition par le donateur seul ou ensemble avec l'enfant en remployant la totalité du produit de la vente).

La technique de la subrogation réelle du prix de vente pourra alors être utilisée pour le remploi des fonds issus de la vente dans le nouvel achat. Par le biais de la subrogation, le donateur pourra remployer tout ou partie du produit de la vente du bien précédemment donné puis vendu, dans le nouvel achat. Ainsi, l'enfant conserve le bénéfice fiscal de la donation, tout en permettant au parent de racheter un nouveau bien immobilier.

Quelle fiscalité pour le vendeur ?

Lorsque la donation a porté sur un tènement (maison et terrain), et que n'est envisagée que la vente d'une partie (vente du terrain et conservation de la maison), il est impératif d'analyser l'impact fiscal pour le vendeur. En effet, pour le calcul de l'impôt sur la plus-value, il devra alors ventiler rétroactivement la valeur des deux biens (en restant dans le cadre de la valeur vénale fixée dans l'acte de donation). L'exercice peut se révéler périlleux fiscalement pour le vendeur qui serait tenté de s'éloigner de la réalité du marché immobilier pour diminuer l'impôt.

Comment déterminer rétroactivement, plusieurs années après la donation, la valeur d'un terrain ? L'expertise des notaires et la base des données immobilières des notaires (la plus grande sur les transactions immobilières) permettront de trouver une valorisation cohérente et de sécuriser l'opération.

Outre ces spécificités, certains obstacles pourront se présenter dans ce processus de vente. Ces écueils peuvent découler de la volonté du donateur ou de certaines dispositions légales.

Interdiction d'aliéner et d'hypothéquer : l'accord du donateur

L'une des charges récurrentes imposées par le parent donateur est celle de l'interdiction faite à l'enfant de vendre le bien, durant la vie du parent. Dans l'esprit du parent, il s'agit souvent de conserver un certain droit de regard sur le sort du bien après la donation. Même si l'enfant gratifié est seul propriétaire du bien donné, il ne peut vendre valablement qu'avec l'intervention, à l'acte de vente, de son donateur. Si les relations entre parent et enfant se sont dégradées entre-temps, cette charge pourra se transformer en obstacle infranchissable, empêchant ainsi purement et simplement la vente, du vivant du donateur.

Droit de retour conventionnel : la reprise du bien donné

Une autre modalité récurrente imposée par le donateur est celle du droit de retour conventionnel. Il s'agit alors pour le donateur de prévoir la possibilité d'un droit de reprise du bien donné, en cas de décès de son enfant gratifié, sans descendance. En permettant de conserver le bien dans la famille, même dans les circonstances les plus imprévisibles, cette condition peut aussi permettre au donateur d'évincer le conjoint de son enfant prédécédé pour reprendre le bien immobilier qui avait été donné. De la même manière que pour l'interdiction d'aliéner, le donateur devra également lever cette charge en renonçant au droit de retour conventionnel pour que la vente puisse avoir lieu.

La protection de la réserve héréditaire des cohéritiers

Outre les charges et les conditions que le donateur peut imposer à son enfant gratifié, la vente du bien issu d'une donation sera aussi l'occasion de vérifier que les droits héréditaires de tous les enfants du donateur ont été respectés.

Pourquoi s'intéresse-t-on aux frères et sœurs du vendeur, alors même que ce dernier est seul propriétaire du bien vendu ? Pour s'assurer que chacun des enfants a pu recueillir dans la succession du parent donateur sa part de réserve héréditaire. La réserve héréditaire des enfants étant un principe fondamental en droit des successions, plusieurs mécanismes ont été créés par le législateur pour la protéger.

L'un de ces mécanismes est l'action en réduction ou revendication visée par l'article 924-4 du Code civil. Au moyen de ce texte, l'enfant qui estime ne pas avoir reçu sa part de réserve héréditaire, peut avoir la possibilité de reprendre le bien immobilier donné par son parent, même entre les mains d'un tiers acquéreur qui l'aurait acquis de bonne foi. Cette action aux effets potentiellement catastrophiques peut être exercée par le cohéritier dans les années suivant le décès du parent donateur.

Quel délai pour exercer de cette action ?

Comme toute action contentieuse, un délai de prescription est ici applicable, tenant compte notamment de la date du décès du donateur, de la date d'information de l'enfant sous alloti, et au plus tard dans les dix ans suivant le décès. En principe, le cohéritier du vendeur pourrait donc réclamer ses droits en revendiquant le bien immobilier entre les mains du tiers acquéreur dans les dix ans suivant le décès du donateur.

Si le délai n'est pas encore écoulé, les cohéritiers et le parent, s'il est encore vivant, doivent alors tous intervenir à l'acte de vente pour signer renoncer à attaquer l'acquéreur, afin de le sécuriser. À ce stade, des tensions familiales entre l'enfant vendeur et ses cohéritiers peuvent apparaître et potentiellement bloquer la vente.

L'anticipation comme solution

Une fois le bien mis en vente, et a fortiori, une fois l'acquéreur trouvé, il devient plus difficile de résoudre les tensions entre héritiers, car le calendrier s'accélère.

Pour ces raisons, et comme souvent dans les opérations portant sur le patrimoine de la famille, l'anticipation de la situation avec le notaire préviendra les difficultés et garantira le déroulement serein de la vente.