Réforme fiscale des SEL : quels impacts pour les associés ?

par Philippe Mugniéry
Mardi 28 janvier 2025

Les sociétés d'exercice libéral (SEL) jouent un rôle clé dans l'organisation des professions libérales en France, offrant un cadre juridique adapté à l'exercice de ces activités tout en permettant une gestion collective. Cet article propose une analyse détaillée de la récente révision de la doctrine fiscale, en insistant sur les implications pratiques pour les professionnels concernés.

Comprendre les SEL et le cadre de la réforme

Les sociétés d'exercice libéral (SEL) sont des structures juridiques conçues pour les professions libérales réglementées (avocats, médecins, architectes,  etc.), et prennent des formes variées comme la SELARL, la SELAS ou la SELCA. Ces sociétés offrent des avantages en matière de responsabilité limitée, de fiscalité et de gouvernance, tout en répondant aux besoins de mutualisation des moyens et d'optimisation de la gestion.

Toutefois, le cadre fiscal des SEL présentait jusqu'à récemment des disparités dans le traitement des revenus, en particulier pour les gérants et les associés techniques, ce qui a conduit à la mise en place de la récente réforme.

Les principaux changements apportés par le nouveau régime

La réforme fiscale sur l'imposition des associés de sociétés d'exercice libéral (SEL) découle de plusieurs décisions du Conseil d'État, qui ont questionné la qualification de leurs revenus entre traitements et salaires ou bénéfices non commerciaux (BNC). En réponse, l'administration a actualisé sa doctrine en 2023 et 2024 via le BOFiP, précisant les règles d'imposition pour uniformiser les pratiques.

Désormais, les revenus issus de l'activité libérale des associés sont imposés en BNC, sauf en cas de lien de subordination formel. Une distinction stricte est faite entre les revenus techniques, liés à l'activité professionnelle, et ceux tirés de mandats sociaux. Pour les gérants majoritaires, la part de la rémunération attribuée aux fonctions de gérance est limitée à 5 %, sauf justification précise.

Par ailleurs, la perte de la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels alourdit la fiscalité des associés en augmentant leur base imposable. Cela complexifie la gestion financière des professionnels, particulièrement en matière de prévision des charges fiscales et sociales.

Les associés de SEL peuvent toujours bénéficier de la prise en charge de leurs cotisations sociales par la société. Ces cotisations, bien qu'ajoutées comme recettes imposables, restent déductibles dans leur résultat BNC en tant que charges professionnelles, ce qui neutralise leur impact fiscal.

Par ailleurs, il n'est plus possible pour les associés de SEL de s'assimiler à une EURL, l'administration fiscale considérant qu'ils agissent pour le compte de la société et non en leur nom propre, position confirmée par le Conseil d'État. Ce verrou juridique les prive d'une option avantageuse, comme l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, et réduit leur flexibilité fiscale. Les professionnels doivent donc explorer d'autres solutions, bien que leurs possibilités d'optimisation demeurent limitées.

Les charges déductibles et leur gestion sous le nouveau régime

Le passage au régime des BNC transforme profondément la gestion des charges professionnelles des associés de SEL. Désormais, les charges déductibles comprennent les frais de transport entre domicile et lieu de travail, les cotisations des contrats de prévoyance Madelin, ainsi que les dépenses pour du matériel ou des abonnements nécessaires à l'activité et non prises en charge par la SEL. Ces charges doivent être strictement justifiées et engagées exclusivement à des fins professionnelles, ce qui impose un suivi comptable rigoureux et des justificatifs solides pour satisfaire les exigences de l'administration fiscale.

Certaines dépenses restent à la charge exclusive de la SEL et ne peuvent être déduites par les associés, comme celles liées au fonctionnement collectif (frais généraux). Néanmoins, les cotisations sociales réglées par la SEL pour le compte des associés sont un cas particulier : elles sont déductibles pour la société, mais sont également intégrées comme recettes imposables pour les associés, en augmentant leurs recettes imposables au titre des BNC.

Face à ces nouvelles contraintes, les associés doivent adapter leurs pratiques en incluant un suivi précis des charges personnelles et une coordination étroite avec la SEL. Si ce régime apporte une certaine clarté sur le plan théorique, sa mise en œuvre pratique demeure complexe et exigeante.

Impacts pratiques pour les associés et les SEL

La réforme fiscale des SEL engendre des impacts significatifs sur les associés et la gestion des structures elles-mêmes. L'un des effets les plus immédiats concerne l'augmentation de la fiscalité personnelle des associés. En requalifiant les revenus techniques en BNC, sauf pour les gérants majoritaires dont certaines rémunérations restent soumises à l'article 62 du CGI, la réforme élargit la base imposable. Par exemple, pour une rémunération de 100 000 euros, une part de 95 000 euros pourrait désormais être imposée dans la catégorie des BNC, alors que les associés relevant des traitements et salaires bénéficiaient auparavant d'une déduction forfaitaire de 10 %.

En parallèle, les obligations administratives des associés et des SEL deviennent nettement plus complexes. Les associés doivent désormais tenir une comptabilité spécifique pour leurs revenus en BNC, en plus de la comptabilité habituelle de la SEL. Cela implique également des déclarations fiscales distinctes : le formulaire 2035 pour les revenus individuels en BNC et le formulaire 2065 pour la société. Cette double gestion administrative alourdit les tâches comptables et expose les professionnels à un risque accru d'erreurs ou de retard dans le respect des obligations déclaratives. La nécessité de bien séparer les dépenses liées à l'activité libérale et celles relevant de la société ajoute encore une couche de complexité.

Enfin, cette réforme soulève des questions sur la pertinence même des SEL, en particulier pour les structures comme les SELARLU, qui regroupent un seul associé. La double comptabilité et les charges administratives rendent ces formes juridiques moins attractives face à d'autres options plus souples, comme les entreprises individuelles en EURL sauf exception. L'objectif initial des SEL, qui était d'offrir un outil de mutualisation des moyens et de structuration professionnelle, semble désormais contredit par la rigidité et les contraintes fiscales imposées. Cette perte d'attractivité pourrait pousser de nombreux professionnels à reconsidérer leur choix de structure et à explorer des alternatives plus adaptées à leurs besoins.

Comment s'adapter au nouveau régime fiscal ?

L'adaptation au nouveau régime fiscal des BNC oblige les associés de SEL à revoir leurs démarches administratives et leurs pratiques comptables. Chaque associé doit obtenir un numéro SIREN pour déclarer ses revenus, une formalité incontournable pour se conformer aux nouvelles règles. Les contrats entre les associés et la SEL doivent aussi être révisés pour distinguer précisément les activités techniques, relevant des BNC, et les fonctions de gérance, soumises à un régime d'imposition distinct. Cette distinction, qui doit être bien documentée, est essentielle pour éviter les litiges avec l'administration fiscale.

Sur le plan comptable, l'optimisation des charges devient cruciale. Les frais professionnels, comme les déplacements ou les abonnements, doivent être identifiés pour maximiser les déductions tout en restant conformes aux règles.

Les premiers retours sur cette réforme soulignent l'importance d'un suivi strict des justificatifs et d'une bonne communication avec l'administration fiscale pour éviter les redressements ou les incompréhensions. La répartition claire des activités entre SEL et associé est un point sensible. Un accompagnement par un expert-comptable apparaît indispensable pour gérer efficacement cette transition.

Conclusion

La réforme fiscale des SEL transforme profondément la gestion des revenus des associés. En requalifiant les revenus techniques en BNC, en supprimant certains avantages fiscaux et en alourdissant les obligations administratives, elle complexifie la gestion financière et juridique des SEL, particulièrement pour les petites structures comme les SELARLU. Les associés doivent désormais faire face à une fiscalité personnelle plus lourde et à des exigences comptables accrues, réduisant l'attractivité de ce modèle.

Dans ce contexte, l'accompagnement par des experts-comptables et fiscaux devient indispensable pour optimiser les déductions, anticiper les charges sociales et limiter l'impact de la réforme. De plus, les SEL doivent souvent réviser leur organisation interne et leurs pratiques contractuelles pour répondre aux nouvelles exigences.

À plus long terme, cette réforme soulève des interrogations sur l'avenir des SEL dans leur forme actuelle. Il est probable que des ajustements juridiques et fiscaux soient nécessaires pour mieux concilier les attentes des professions libérales et les objectifs de l'administration fiscale, tout en garantissant simplicité et équité.