L'enquête administrative : quelles sont les bonnes pratiques ?

par Me Didier Milland
Jeudi 6 février 2025

Absence de cadre législatif et réglementaire, mais des principes jurisprudentiels à appliquer

Aucun texte de nature réglementaire ou législative ne régit à ce jour les enquêtes administratives, dont l'objectif est principalement, lors de situations tendues au sein d'un service (et notamment en cas de harcèlement supposé, de tensions, d'accidents...), de vérifier la matérialité des faits, de les objectiver et, le cas échéant, de formuler des préconisations.

Cependant, certains principes s'appliquent en la matière et, de manière générale, une vigilance devra être apportée à la procédure, en particulier dans l'hypothèse où l'enquête administrative est organisée dans le cadre d'une procédure de sanction disciplinaire, ce qui est une situation très fréquente en pratique.

En premier lieu, le juge administratif considère que l'enquête administrative n'a pas de caractère obligatoire (CE, 23 novembre 2016, M. A., n° 397324) et qu'elle relève donc de la seule initiative et de l'appréciation discrétionnaire de l'employeur public.

Par conséquent, un agent ne peut pas contester le refus de l'employeur de mettre en place une telle enquête (CE, 15 mars 2004, n° 255392).

En deuxième lieu, le principe d'impartialité doit être respecté (CE, 26 avril 2018, M. C. A., n° 409204),  afin de prémunir les parties contre tout risque de parti pris.

Cet élément doit être pris en compte à tous les stades de la procédure, qui ne doit pas être organisée uniquement « à charge » (ce qui est par ailleurs fort logique au regard de son objectif initial, rappelé plus haut).

Enfin, en troisième lieu, le principe du contradictoire n'a pas forcément à être respecté, de même que le respect des droits de la défense :

- L'agent concerné n'est pas en droit d'exiger qu'un débat contradictoire soit organisé (CAA Paris, 17 juin 1997, M. Z., n° 39PA02618).

- La faculté de mener une enquête administrative sur la manière de servir ne constitue ni une sanction, ni une mesure prise en considération de la personne : l'agent ne peut donc pas se prévaloir d'un droit à la communication de son dossier ou d'un droit à l'assistance d'un avocat ou de l'un de ses pairs (CE, 21 août 2019, M. D. C.-A, n° 415334).

Attention, si la phase de l'enquête administrative à proprement dit n'a pas à être contradictoire, l'administration est en revanche tenue de respecter les droits de la défense lorsqu'elle prononce, à la suite à cette enquête et sur le fondement de cette dernière, une sanction disciplinaire ou toute mesure prise en considération de la personne (CE, 8 décembre 2017, La Poste, n° 402103),  ce qui est une situation assez fréquente en pratique.

Quelle organisation en pratique ?

La phase d'organisation de l'enquête revêt, déjà, une importance particulière.

L'administration devra déterminer si elle choisit d'organiser l'enquête en interne (avec, donc, un ou des enquêteurs qui seront des agents de la collectivité ou de l'administration concernée) ou de l'externaliser.

S'il n'est pas prohibé, sur le principe, que les enquêteurs soient des agents de la collectivité (avec néanmoins comme condition, découlant du principe d'impartialité, qu'il n'existe pas d'animosité particulière à l'égard de l'agent), il est souvent préférable que les enquêteurs soient des personnes extérieures. Tel est souvent le cas, en pratique, lors des enquêtes administratives diligentées par les collectivités territoriales.

Il est également fortement recommandé que les enquêteurs soient au minimum deux, d'une part pour limiter les risques de contestations ultérieures des personnes auditionnées quant au contenu de leurs propos, et d'autre part pour d'évidentes raisons pratiques de conduite des auditions (un enquêteur interroge, l'autre prend des notes).

Toujours dans un souci d'impartialité, le choix des personnes devant être auditionnées appartiendra aux enquêteurs, et non au commanditaire de l'enquête.

Ils veilleront, après avoir pris connaissance du contexte lors d'échanges avec l'administration, et effectué une première analyse documentaire (organigramme notamment), à préserver un équilibre dans l'expression, en n'auditionnant pas exclusivement des personnes notoirement en situation de parti pris à l'égard de l'agent mis en cause.

Le lieu des auditions n'est pas anodin non plus : il devra permettre de préserver une certaine intimité (éviter par exemple, dans la mesure du possible, un bureau à proximité du service concerné...), l'idéal étant de trouver un lieu situé en dehors du siège de l'administration commanditaire.

L'enquête se déroule, en substance, de la manière suivante :

- Auditions des personnes identifiées et rédaction d'un procès-verbal par l'un des enquêteurs, qui sera signé par chaque personne auditionnée ;

- À la suite des entretiens, rédaction d'un rapport par les enquêteurs. Ce rapport est ensuite remis au commanditaire. Il contiendra, en plus de la retranscription de la matérialité des faits, des conclusions sur les éventuels comportements fautifs, les responsabilités et, le cas échéant, des propositions sur la suite qui pourrait être donnée (sanction disciplinaire ou non, signalement de faits délictueux,  etc.) ;

- Le rapport final, qui sera quant à lui anonymisé, sera potentiellement communicable à la personne mise en cause.

Attention, dans un souci de neutralité et d'équilibre de l'enquête, et même s'il ne s'agit pas d'une obligation comme rappelé ci-dessus, il est conseillé de notre point de vue, en opportunité, d'informer l'agent mis en cause qu'il a la possibilité de se faire accompagner par la personne de son choix, en particulier lors de son audition.

Il convient également de rappeler aux personnes auditionnées que leurs propos sont protégés par les règles de confidentialité et de secret, mais que néanmoins, en cas de suites disciplinaires ou juridictionnelles (que ce soit devant le juge administratif ou pénal), leur témoignage pourra être communiqué à la personne mise en cause, sauf si cette communication présente un risque avéré de préjudice pour son auteur (CE, 22 décembre 2023, n° 462455).

Quelle application du droit de se taire ?

Par une décision en date du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution le fait de ne pas informer les fonctionnaires mis en cause de leur droit de se taire dans le cadre d'une procédure disciplinaire (CC, 4 octobre 2024, décision QPC n° 2024-1105).

Le droit de se taire doit donc désormais être rappelé à l'agent faisant l'objet d'une sanction disciplinaire et la question annexe posée était de savoir si cette possibilité devait également être rappelée à l'agent au stade d'une simple enquête administrative.

Par une décision récente, le Conseil d'État a indiqué qu'à ce stade, cette obligation ne s'imposait pas : « Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent. » (CE, sect., 19 décembre 2024, n° 490157).

Le Conseil d'État a même précisé encore plus récemment que cette obligation ne s'imposait pas dans le cas où l'enquête administrative précède une procédure disciplinaire
(CE, 6 janvier 2025, n° 471653).