Le bail à construction dans les zones d'activités économiques : principes et variations

par Me Marie-Ange Bartoli-Crépin
Mercredi 19 février 2025

Depuis la parution de la loi Zéro artificialisation nette (ZAN) du 20 juillet 2023, qui tend à interdire toute nouvelle artificialisation des sols, les collectivités se sont inquiétées du devenir de l'activité économique sur leur territoire. Le bail à construction peut être une solution. Explications.

Les données sont simples. Le foncier dévolu aux activités économiques se raréfie, car il est quasiment impossible de créer de nouvelles zones économiques. L'implantation de nouvelles entreprises sur les territoires devient alors un vrai problème. À cette pénurie se rajoute l'absence de maîtrise du foncier existant déjà cédé, ce qui ne permet aucun pilotage des activités futures.

Désireuses d'avoir une implication plus importante, les collectivités ont donc réfléchi aux outils dont elles disposaient pour assurer une meilleure gestion de leur foncier à vocation économique. C'est ainsi que le bail à construction, vieille institution datant de 1964, a été remis au goût du jour.

Mais de quoi parle-t-on ? Le bail à construction est un bail à long terme (entre 18 et 99 ans) dans lequel, en contrepartie de la location d'un terrain, le preneur a l'obligation d'édifier une construction. Au terme du bail, les constructions reviennent au bailleur par la simple extinction du contrat.

Ce bail a pour particularité de dissocier le droit de propriété. On distingue un « droit du sol » qui reste appartenir au bailleur, d'un « droit de superficie » correspondant au droit loué au preneur. Le bail à construction se différencie d'un simple contrat de louage, car à la location de terrain qui est consentie s'ajoute un « droit réel » qui permet au preneur d'avoir un certain nombre de prérogatives supplémentaires pendant la durée de ce bail. Le bail à construction a pour caractéristique de n'avoir que très peu de dispositions impératives. Les parties sont donc libres d'imaginer la relation contractuelle qu'elles veulent avoir.

Des avantages multiples pour la collectivité bailleresse

Tout d'abord, la collectivité peut avoir la maîtrise de l'affectation du bien loué. Rien ne lui interdit d'imposer un certain type d'activités, de sorte que tout changement sera soumis à son approbation et ce pendant toute la durée du bail.

Elle évite la réalisation de réserves foncières d'abord parce que le preneur a l'obligation de construire, ensuite parce qu'elle peut contractualiser les délais de constructions dans le bail.

Elle évite les friches industrielles en imposant que le bien soit entretenu.

Elle perçoit un revenu, soit récurrent à chaque terme de loyer, soit en une seule fois lors de la conclusion du bail ce qui peut lui permettre d'amortir immédiatement les investissements réalisés pour viabiliser la zone économique où se trouve le bien.

Le bail prévoit des sanctions allant jusqu'à la résiliation en cas d'inexécution de ses obligations par le preneur, lesquelles sont en substance : le paiement du loyer, la construction de bâtiments et l'entretien de ceux-ci. Elle récupère les constructions en fin de bail sans indemnité.

Et côté preneur alors, quels sont les avantages ?

Le preneur lui bénéficie d'un droit de propriété sur les constructions qu'il édifie pendant le bail. Le droit réel qui lui est conféré peut être apporté en garantie à l'appui d'un emprunt bancaire.

Il peut céder ou donner son bail sans avoir besoin de l'autorisation du bailleur.

Il a également la certitude, dans une zone où tous les terrains sont commercialisés par le moyen de baux, que l'environnement sera préservé puisque la collectivité, en qualité de bailleur, restera partie prenante de la zone. Ce qui constitue un élément important de la valeur de son bail qu'il peut valoriser en cas de cession.

Alors, il n'y a que des avantages ?

Il subsiste néanmoins des freins à la conclusion de tels baux par les preneurs. Au-delà de notre relation ancestrale avec le droit de propriété qui nous pousse à ne le connaître que sous sa forme pleine et entière, le plus important est certainement l'échéance finale qui consiste en l'extinction du bail et la perte du bien. On peut difficilement imaginer que son outil de travail disparaisse avec la fin d'un contrat alors que l'entreprise est toujours en activité ou que l'entreprise dépende du bon vouloir d'un tiers.

Point de panique, la grande liberté dans la rédaction des clauses permet de pallier ce problème.

Que faire alors pour sécuriser le preneur sur la pérennité de son droit ?

Une précision préalable s'impose : le bail à construction ne peut faire l'objet d'une prorogation tacite. Il faut donc obligatoirement que la fin du bail soit anticipée dès le départ, mais compte tenu de l'échéance lointaine il faut suffisamment de souplesse dans les clauses pour prévoir plusieurs issues.

On peut envisager qu'au terme du bail, le bailleur confère un droit de préférence au preneur actuel (ou à son successeur si le bail a été cédé), si la collectivité veut à nouveau louer le bien. Il peut instituer un même droit de préférence si la collectivité veut vendre le bien. Le preneur se trouve ainsi assuré que quoi que décide la collectivité (location ou vente), il sera toujours prioritaire pour louer ou acheter.

Le preneur sera alors certain que l'activité de son entreprise ne sera pas interrompue et bénéficiera d'un droit « permanent » au renouvellement.

Quel sera alors le nouveau bail qui sera conclu, à la suite du premier ? En fait tout est possible, il peut s'agir d'un nouveau bail à construction si, et seulement si, de nouveaux bâtiments sont édifiés sur le terrain loué, ou d'un bail à long terme (entre 18 et 99 ans) dit « bail emphytéotique » dans lequel le preneur n'a aucune obligation de construire, ou d'un bail commercial. Il est quasiment impossible d'anticiper sur une période aussi longue. Il est donc préférable de laisser la porte ouverte à tous les possibles.

On peut aussi envisager, si le bail n'a pas été conclu pour une période de 99 ans, qu'il puisse faire l'objet d'une prorogation pour porter sa durée totale à 99 ans. Cette prorogation pourra être accordée sur simple demande du preneur ou soumise à certaines obligations (rénovation totale ou partielle du bâtiment, mise aux normes...) et moyennant/ou pas une augmentation de loyer.

On peut enfin envisager que le bailleur s'engage à résilier le bail existant et à en conclure un nouveau (à construction ou emphytéotique) à tout acquéreur présenté par le preneur. Ce nouveau bail sera soit à construction si le projet du nouvel acquéreur le permet, soit emphytéotique dans les autres cas. Cette clause peut constituer un élément essentiel de la cessibilité du bail. Elle ne devra en revanche pouvoir être mise en jeu qu'après une période de 18 ans, faute de quoi la qualification du bail à construction initial pourrait être remise en cause.

Et le côté financier dans tout cela ?

Généralement, lorsqu'une collectivité se penche sur le bail à construction au lieu et place de la cession, c'est aussi pour réguler le prix du foncier et faire en sorte qu'il reste accessible aux nouvelles entreprises qui souhaitent s'implanter sur leur territoire. Elle joue alors un rôle de « modérateur » qui ne peut être qu'au bénéfice du preneur.

Le preneur quant à lui a plusieurs avantages au lieu et place d'une acquisition. Tout d'abord, lors de la conclusion du bail, il ne sera soumis à aucune taxe. Seule la contribution de sécurité immobilière, dont le montant est égal à 0, 10 % du montant cumulé des loyers, sera exigible.

Ensuite, le preneur peut amortir le loyer et les constructions alors qu'il n'amortit que les constructions en cas d'acquisition.

Enfin, le bail peut, sur option, être soumis à la TVA de sorte que le preneur pourra déduire la TVA portant sur les travaux qu'il va réaliser.