Incapacité et décès : la nécessaire anticipation du chef d'entreprise
Comment anticiper l'incapacité ou le décès du chef d'entreprise afin d'assurer la pérennité et la transmission sereine de son entreprise ? Voici quelques outils dont dispose le chef d'entreprise.
L'incapacité ou le décès du chef d'entreprise peut entraîner des cas de paralysie au sein d'une société. Il convient d'analyser les différents risques susceptibles de résulter d'un imprévu, frappant la santé ou la vie d'un dirigeant, et les perturbations potentielles dans la chaîne de gouvernance ou d'exploitation au sein de l'outil professionnel.
Anticiper des relais de gouvernance et décisionnaires
Afin de limiter ces risques, le dirigeant se doit d'anticiper deux volets : d'une part, la transmission de la gouvernance, et d'autre part, l'organisation de la transmission du capital et des droits de vote attachés au dirigeant associé.
En matière de gouvernance, l'incapacité peut être anticipée par la rédaction d'un mandat de protection future, et le décès par celle d'un mandat à effet posthume portant tous deux sur les biens professionnels, là où des aménagements statutaires et dispositions portant sur le capital permettront d'anticiper la transmission sereine de la société.
Le mandat de protection future sur les biens professionnels en cas d'incapacité
Le mandat de protection future permet à l'entrepreneur de désigner, sans avoir recours au juge et par avance, un ou plusieurs mandataires chargés de la gestion de son patrimoine professionnel pour le cas où il n'aurait plus la capacité d'agir à cause d'altérations mentales ou physiques. Là où la protection du patrimoine privé et de la personne du dirigeant peut être assurée par un proche (conjoint, enfant...), celle du patrimoine professionnel suppose la désignation d'une personne disposant des compétences nécessaires pour gérer l'entreprise en son nom.
Au sein du mandat, le dirigeant d'entreprise peut ainsi décider de prévoir que le mandataire prenne directement sa place dans la vie de l'entreprise et fixer selon ses souhaits le périmètre d'action du tiers de confiance désigné. Les statuts et les documents sociaux doivent dès lors être aménagés pour permettre au mandataire de prendre la direction effective de la société.
Régulariser un mandat par acte notarié permet au dirigeant - a contrario d'un mandat sous seing privé - de conférer des pouvoirs pour réaliser des actes de disposition (en complément d'actes dits d'administration). En pratique, la continuité de l'entreprise requiert fréquemment la régularisation d'actes de disposition tels que la vente d'éléments d'exploitation ou le renouvellement d'un bail commercial.
Le mandat à effet posthume sur les biens professionnels en cas de décès
Le mandat à effet posthume est le second outil à disposition du chef d'entreprise soucieux de ne pas laisser ses proches (conjoint, enfants mineurs...) gérer l'entreprise qu'il laissera en cas de décès. Ce mandat doit être justifié par un intérêt sérieux et légitime (existence d'une entreprise, présence de mineurs dans les héritiers...).
Le chef d'entreprise désigne alors, par acte notarié, la ou les personnes qui lui semblent les plus à même d'assurer la gestion de sa société à son décès, en attendant un éventuel partage ou vente de cette dernière. Il s'agit ainsi d'une mesure provisoire et limitée à des actes de conservation ou d'administration, et non de disposition. Les héritiers demeurent ainsi propriétaires de la société mais se voient dépossédés de leurs pouvoirs de gestion au profit du tiers désigné par le mandat. Ce mandat peut toutefois être révoqué à tout moment par les héritiers qui peuvent également décider de vendre le bien sous mandat.
Celui qui voudrait dépasser ces contraintes, et isoler totalement son entreprise de ces limites, pourra alors s'orienter vers des démarches plus lourdes mais aux effets puissants, en songeant à la mise en place d'un contrat de fiducie-gestion à effet différé.
Par Me PierreEmmanuel Mazas, notaire. DR
Comment anticiper l'incapacité ou le décès du chef d'entreprise afin d'assurer la pérennité et la transmission sereine de son entreprise ? Voici quelques outils dont dispose le chef d'entreprise.
Incapacité et décès : la nécessaire anticipation du chef d'entreprise
VENDREDI 21 FÉVRIER 2025 24 LE FAUCIGNY / LES AFFICHES DE HAUTE-SAVOIE
L'ÉTUDE DES NOTAIRES
Les situations où le dirigeant est associé : la « protection » du droit de vote.
Il est courant de voir une détention du capital social concentrée entre les mains du dirigeant, en particulier lorsqu'il a fondé l'entreprise. Son statut de dirigeant se cumule alors avec celui d'associé. De cette situation et en cas d'incapacité découlent possiblement des blocages effectifs à défaut de mandat de protection : absence de mandataire social pour l'entreprise, absence de majorité aux assemblées générales, difficulté dans la gestion des titres détenus...
En cas de décès prématuré, les titres figurant dans la succession peuvent ainsi se retrouver en indivision entre les héritiers. Pour représenter cette indivision, il sera ainsi nécessaire de désigner unanimement un représentant unique. En cas de désaccord entre les héritiers indivisaires sur la qualité de ce représentant, ce sera au juge de nommer un mandataire judiciaire avec les délais associés.
Il convient par ailleurs de regarder avec précision la rédaction de la clause d'agrément qui permet de conférer la qualité d'associé aux héritiers. Il est fréquent de rencontrer des clauses d'agrément conférant d'office la qualité d'associé au conjoint, posant possiblement des problématiques d'interprétation : s'agit-il de l'époux marié, du partenaire voire du concubin bénéficiaire du legs ?
Si ces clauses visent également les descendants et qu'il existe des enfants mineurs, d'autres difficultés pourront apparaître : l'impossibilité du mineur de devenir associé dans certains types de société, la question de la représentation par le représentant légal : qui est-il et quels sont les liens qu'il entretient alors avec le dirigeant décédé ?
Il peut ainsi s'avérer opportun d'aménager les statuts pour y intégrer, soit une procédure d'agrément systématique, quels que soient la qualité et le lien de parenté des ayants droit, soit une dispense d'agrément, tout en neutralisant le droit de vote (attribution en cas de démembrement ou création de titres catégoriels, activés par le décès). Il arrive même parfois que la rédaction de certaines clauses d'agrément ne permette pas aux associés survivants, faute de majorité suffisante, ni d'agréer ni de refuser les nouveaux associés que sont les héritiers, entraînant alors une paralysie dans le fonctionnement de la société.
Enfin, la question d'un démembrement de propriété sur les titres se posera couramment, notamment en présence d'un conjoint bénéficiaire d'un legs en usufruit ou optant pour l'usufruit de la succession. Quels que soient les pouvoirs de l'usufruitier, il conviendra à ce qu'il bénéficie d'un titre en pleine propriété - puisque la qualité d'associé n'est pas reconnue à l'usufruitier par la jurisprudence - afin d'éviter des décisions unanimes des nus-propriétaires pouvant par exemple aller jusqu'à décider seuls la dissolution de la société. On veillera aussi à exprimer les règles de majorité et de quorum en nombre de « voix » plutôt que d'« associés », qualité que l'usufruitier ne possède donc pas.
Anticiper la transmission de sa société, par décès ou de son vivant
En matière de transmission, dans les situations d'actionnariat détenu de façon notable au niveau familial, il est recommandé de mettre en place des mesures anticipées pour alléger la fiscalité de la transmission, en recourant au « Pacte Dutreil ». Ce dispositif permet de faciliter la transmission par donation ou décès de l'entreprise familiale.
Sa mise en œuvre doit être encouragée, à titre préventif, quand bien même aucune transmission par donation n'est envisagée. Ce dispositif fiscal permettra à la transmission de bénéficier d'une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois-quarts de la valeur de la société, sous réserve du respect de conditions encadrées. Il convient dès lors de coupler méticuleusement ce dispositif avec la mise en place des mandats préventifs visés ci-dessus.
Ces différents mécanismes s'avérant complexes, l'accompagnement du dirigeant devra s'orchestrer de manière interprofessionnelle avec l'ensemble de ses conseils, parmi lesquels le notaire aura toute son importance.